Il n'aimait visiblement pas cette appellation. Zombie. Comment voulait-il qu'on le nomme ? Arrizh ?

— C'est des cours magistraux que tu as cet après-midi ?

Elle avait hoché la tête, avant de s'attaquer à son tour à son dessert. Ce changement brusque de discussion ne l'avait pas perturbé.

— Sèche. Viens avec moi.

Elwina avait haussé les sourcils, surprise par sa demande. Lui-même n'avait-il pas cours ? Roméo l'observait de ses yeux bleus translucides, d'un air presque suppliant.

— Pourquoi ?

Convaincs-moi.

— J'ai acheté des craies. Et des nouvelles toiles. Allons dessiner au milieu des champs.

L'idée était alléchante. Elwina avait laissé le bord droit de ses lèvres se retrousser en un demi-sourire, avant de lancer :

— Au même endroit que la dernière fois.

Elle avait tout particulièrement apprécié s'asseoir au pied des menhirs. Et puis, peut-être que le jeune homme allait pouvoir lui apprendre à discerner les lignes du Moger. L'intéressé s'était déjà levé, plateau en main. Voyant que la brunette était restée assise, à le fixer bizarrement, le garçon avait lancé en souriant :

— Alors, tu viens ?

Cette fois-ci, Elwina n'avait pas retenu son léger sourire. Sans finir sa pomme, elle s'était à son tour levée, pour quitter la cafétéria.

Le ciel avait beau être gris, par chance, il ne pleuvait pas. Les deux jeunes gens étaient retournés à l'endroit exact de la dernière fois. La brunette s'était assise contre un rocher, tandis que son coéquipier s'était posé en tailleur, en face d'elle, déposant sa mallette de craies entre eux. Elwina connaissait peu ce support de dessin, et mit quelque temps à se l'approprier, sous les conseils de son interlocuteur.

— J'ai appris à dessiner avec des craies et des fusains. C'étaient des instruments courants, à l'époque. Avait fini par confier le jeune homme.

— Tu as appris tout seul ?

Elle crut d'abord qu'il ne lui répondrait jamais. Yeux rivés sur sa toile, Roméo effectuait de rapides mouvements. Puis, il s'était arrêté, avant de reposer par terre la craie noire qu'il utilisait.

— Non. Il avait porté la main au collier qui pendait à son cou. J'étais médiocre, au début.

Perdu dans ses pensées l'espace de quelques instants, Elwina avait senti la tristesse du garçon qui débordait de son cœur. Elle avait presque envie de poser une main réconfortante sur son épaule pour le consoler, mais n'en fit rien. Au lieu de ça, elle s'était contentée de jeter un coup d'œil curieux à l'esquisse du jeune homme. C'étaient des montagnes. Surprenant son regard, l'artiste avait soupiré :

— J'ai grandi là-bas. Dans les Pyrénées.

Elle entendait, dans sa voix, à quel point aujourd'hui encore il restait attaché à cet endroit.

— Pourquoi être parti ?

Les yeux du garçon s'étaient voilés, et Elwina crut d'abord qu'il allait pleurer. Mais le jeune homme avait ravalé ses émotions naissantes, et fit nerveusement rouler ses épaules avant de répondre :

— C'est un village de mortels. Ceux qui y habitent à présent sont tous des inconnus. Ma propre maison n'existe plus.

Ce qu'il se garde de dire, c'est que lui-même l'avait détruite, sous le coup du désespoir et de la tristesse.

La malédiction des chats noirsWhere stories live. Discover now