Elle ne répondit rien et se contenta de faire pivoter sa chaise tournante. Elle le congédia à nouveau d'un signe, sans un encouragement, sans un au revoir. Là encore, il ne s'en formalisa guère.


Max et Khalid l'attendaient dans la petite salle où il avait appris à tirer la veille. Le revolver composite était un peu plus gros que celui avec lequel il s'était entraîné, mais les différences restaient triviales, tant au niveau du poids que de la manipulation. Khalid tint quand même à vérifier qu'il exécutait toutes les manoeuvres sans hésitation avant de lui souhaiter bonne chance. Arthur n'avait pas vraiment eu le temps de faire sa connaissance mais il accepta ses voeux de réussite avec gratitude. En d'autres temps, le vétéran à la moustache aurait certainement appartenu à une élite militaire respectable.

Le sorcier blanc, resté silencieux, le raccompagna jusque dans sa chambre. Arthur s'y changea, revêtant la tenue qu'il s'était choisie, une combinaison près du corps, qui ne gênait pas ses mouvements. Il devrait de toute façon porter des vêtements médiévaux par-dessus, au moins un temps.

— J'aurais voulu que nous ayons plus de temps, annonça Max, tandis qu'il terminait d'ajuster ses lacets. Nous aurions pu mieux préparer les choses... Tout ceci est... très improvisé.

Il contint un soupir.

— Mais l'ouverture dont dispose Nina se refermera bientôt et reste notre meilleure chance d'entrer. T'ai-je dit que tu pouvais encore renoncer ? Sûrement. Je le redis. Arthur. Tu peux renoncer.

Arthur ne releva même pas les yeux.

— Les chances que tu t'en sortes vivant sont très limitées.

— Vous me l'avez déjà dit. Votre « très limitées » veut dire « nulles ». Et pourtant, je reviendrai.

Il se redressa. Debout, il dépassait Max d'une bonne tête. Celui-ci acquiesça, lèvres pincées, sans le contredire. Arthur apprécia son silence, même s'il le condamnait autant que les paroles de ruine de sa soeur jumelle. Il se demanda si Max était à l'origine de la pilule mortelle, s'il était même au courant.

— Quand je reviens, me donnerez-vous asile ? Je pourrais avoir commis des actes... criminels. Graves. J'aurai probablement tué de vrais êtres humains.

Le sorcier blanc demeura pensif, le dévisageant avec une expression presque triste, avant de s'écarter.

— Je m'y efforcerai. Je ne peux rien te garantir. Tout dépendra de ce qui s'est produit. Je ne peux pas compromettre toute mon organisation, tout notre travail... pour le salut d'un seul homme.

L'usage de ce simple mot toucha Arthur en plein coeur. L'émotion lui serra la poitrine et s'insinua au coin de ses yeux, lui brouillant le regard. Mortifié par ce sentimentalisme indigne de son rang, il se détourna et prit une profonde inspiration, tout en effectuant des mouvements d'étirement factices. Sans doute Max n'était-il pas dupe, mais il eut la décence de ne pas relever.

— Pouvez-vous protéger Hector, malgré tout ? Il n'est pas responsable de ma décision.

— Bien sûr.

— Alors tout est bien.

Arthur ferma les yeux, carra les épaules, invoqua des souvenirs mensongers. De victoires éclatantes, de tournois remportés, de triomphes des forces de la lumière contre les suppôts de Satan. Chaque épisode se déroula en images vivaces à l'intérieur de son crâne. Épées dressées, étendards battant dans le vent froid, déclarations de guerre, serments d'allégeance, promesses, le souffle d'un sentiment partagé d'agir pour un mieux.

Sans forcer, il parvint à s'abandonner à ces chimères, car leur emprise sur son esprit, sur son essence, était complète. Alex, sous ses dehors revêches, voyait juste : ce qu'il avait réellement vécu était discutable. Une fois intégré à sa mémoire, chaque épisode forgeait son identité. Aussi solide que quelque chose qui se serait réellement produit.

Les derniers filaments d'inquiétude s'estompèrent sous les assauts d'une certitude inébranlable. Le Roi Arthur ne laisserait pas les actes démoniaques de Miles Baden impunis. Il lui montrerait ce qu'il en coûte de contraindre et mépriser un mythe, de l'exploiter sans vergogne pour des raisons vénales, de se croire maître d'une légende.

La fureur succéda à la confiance.

— Arthur, il faut y aller. Les acteurs sont des lève-tard, mais les couloirs ne resteront pas dégagés toute la matinée.

Les fragments se déchirèrent dans la grisaille du petit appartement. Le roi adressa un signe de tête à Max, puis lui emboîta le pas dans les couloirs.


Quelques minutes plus tard, un coffre de voiture se refermait sur lui, le plongeant dans le noir. 

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now