Chapitre 3 - Fin de règne

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Assis à la terrasse d'un café, Gustavo, dentier tout refait, fut surpris de voir combien sa réparatrice était belle. 

Lors des interventions, elle portait toujours d'énormes lunettes grossissantes et un masque sur la bouche. C'était donc la première fois qu'il la voyait du front au menton et il n'eut pas besoin de descendre le regard plus bas pour comprendre qu'il était tombé amoureux. La dentiste, sans le vouloir et sans le savoir, avait brisé l'armure du conquérant et le poison subtile de l'amour s'infiltrait dans le corps de Gustavo sans qu'il puisse résister.

Le docteur Cétouvert, étonné de voir son patient paralysé, essaya de le réconforter en lui expliquant que parfois l'anesthésie locale peut se faufiler ailleurs que dans la gencive et que l'effet peut durer quelques jours. Bientôt, il retrouverait toute sa gouaille , c'est certain! 

Presque soulagée de le voir diminué, elle parla à sa place et lui raconta sa rencontre avec son futur mari l'urologue. 

Jamais Gustavo n'avait vu femme si heureuse de convoler. Cupidon avait œuvré sans sourciller, atteignant le cœur de la dame en plein centre. 

Suspendu à ses paroles, la lèvre anesthésiée pendante, le sicilien ressenti soudain quelque chose qu'il ne parvenait pas à analyser. Il fut incapable de se défendre lorsque sa poitrine se mit à bouger de haut en bas en émettant des bruits étranges tic-tac tic-tac tic-tac, de plus en plus vite ....de plus en plus fort ! « J'ai un cœur!, s'écria t-il intérieurement, c'est une catastrophe ! Cette femme va le briser en mille morceaux et je ne m'en remettrai jamais !» . Et lorsqu'il senti son entre-jambe n'en faire qu'à sa tête, il fut pris de panique!

Déjà debout, il lança un billet sur la table et s'enfuit, laissant la dentiste bouche ouverte avec une phrase non terminée flottant dans l'air.

Gustavo passa une semaine à écouter ce cœur qu'il avait sauvé in extremis, et qui revenait doucement a un rythme normal. Son entre-jambe, elle, était revenue à la norme beaucoup plus rapidement. Etais-ce donc cela que l'on appelait l'amour? Réalisant le temps perdu à donner des coups de martinet sur des postérieurs sans sentiments , le conquérant pleura sur sa méconnaissance de la vie et  éprouva de sincères remords , prenant enfin conscience des dégâts qu'il avait causé toutes ces années à sa propre personne et à toutes ces femmes.

Bien décidé à se rendre aux autorités compétentes pour être jugé de ses méfaits, il eu l'envie d'aller d'abord rencontrer cet urologue Breton, qui grâce à l'amour qu'il portait à la dentiste, venez de sauver la France d'un grand désastre et peut-être bien le monde tout entier.

II prétexta un problème urinaire et pris rendez-vous ! Lorsque le spécialiste ouvrit la porte du cabinet Gustavo compris que Cupidon pouvait être un sacré blagueur, voire même, un mauvais tireur. Comment la dentiste avait-elle pu tomber amoureuse de ce bonhomme au physique si quelconque? Avait -il un don caché ? Gustavo scruta le praticien et son bureau en quête d'un indice mais il ne trouva rien qui puisse expliquer ce mystère. Et il commença à douter de lui et de ces pratiques avec les femmes. S'étaient-elles moquées de lui, avaient-elles sur joué leur plaisir? La réputation du conquérant était en jeu, il devait comprendre.

Pendant que Gustavo philosophait sur son rapport aux femmes, le spécialiste auscultait son intimité. Au bout de quinze minutes , il se planta devant le sicilien et lui lança qu'il ne trouvait rien à redire quant à l'organe lui-même mais qu'il devait poser quelques questions pour affiner son diagnostique . Il sortit un calepin et lu diverses questions embarrassantes et parfois incompréhensibles pour Gustavo. Au fil des minutes, le patient découvrait un monde qui lui semblait totalement inconnu. Et lorsque l'urologue lança la question que tout homme bien né refuse de se poser : « Avez-vous des pannes ». Gustavo compris que jamais il n'avait fait l'amour, et que depuis qu'il allait chez le dentiste il avait constaté que son anatomie était en berne. Exception faite du jour où il l'avait invité au café.

L'urologue habitué à en entendre des vertes et des pas mûres, rétorqua que cet état mou était  passager et sans gravité, même pour un sicilien ! Il expliqua que cette baisse de régime était peut-être dû aux anesthésies répétées pendant les soins dentaires ! 

Pour finir de rassurer Gustavo, l'urologue lui confia ne pas être à l'abri de ces petites pannes depuis qu'il avait rencontré sa future femme. L'amour qu'il lui portait était si fort que parfois cela pouvait le paralyser quelque peu.

Gustavo remonta son pantalon pendant que l'urologue griffonnait  une ordonnance . Il lui expliqua que cet aphrodisiaque naturel et un peu de vitamine C deux fois par jours pendant quinze jours l'aiderai à passer le cap.  Puis il plongea son regard dans celui de son patient et lui dit, sans jugement,  qu'il était important d' entretenir la machine régulièrement et que les fessées si légendaires soient-elles ne suffisaient pas à combler la sexualité d'un homme et encore moins celle d'une femme. Enfin,  il lui offrit une documentation intitulée "Mode d'emploi en dix points pour réussir son dépucelage".

Gustavo comprit alors qu'il était passé à côté de sa vie intime et qu'à presque quarante ans, seul son bras droit c'était musclé à force de fouetter des fessiers. 

Il pris la prescription et le manuel sans faire de commentaires et se leva de sa chaise. l'urologue  lui envoya un dernier clin d'œil chaleureux et très masculin. Jamais un homme ne lui avait parlé avec tant de douceur et de gentillesse, ce qui le troubla quelque peu.

Sur le chemin de son hôtel, Gustavo mis un un d'ordre dans son esprit. Maintenant qu'il avait sympathisé avec l'urologue il devait mettre fin à son histoire avec la dentiste ! Il se fit donc briser les dents une dernière fois, et retourna chez le docteur Cétouvert. Son râtelier remis à neuf, il enlaça chaleureusement la spécialiste « Vous et votre futur mari m'avez sauvé d'une vie peu glorieuse! Je vous aime ! Mais mon destin est ailleurs... Adieu !». Après une bonne nuit de sommeil, il prit un déjeuner consistant, sa vitamine C et son aphrodisiaque, et fit ses valises. Son instinct lui avait soufflé que pour reprendre le contrôle sur sa vie et son intimité, il devait déménager. Au moment de fermer la porte dernière lui, il versa une larme en voyant la collection de martinets qu'il laissait derrière lui.

Le 6 juin, il prit la direction du nord dans l'espoir d'y rencontrer l'amour auprès d'une jolie Normande aux odeurs de pomme, mais à mi-chemin son train fût stoppé net par des mouvements de troupes. 

On fit descendre les passagers le temps que les camions remplis de  bidasses traversent les rails. « Où allez vous ainsi messieurs?" cria Gustavo d'un sourire resplendissant . « Nous rejoignons les plages du débarquement pour libérer la France", lui répondit un homme bien fait et vêtu de vert.

Gustavo, soudain séduit par cette idée de nouvelle conquête et ému par la vigueur qui transpirait au travers des véhicules militaires, laissa choir sa valise et ses espoirs de mariage dans le wagon lit.

Sans hésiter, il grimpa dans un camion sous les hourras de la foule.

Et c'est ainsi que notre conquérant, son bridge refait à neuf, une boîte d'aphrodisiaque en poche  et un cœur palpitant tout neuf, parti à l'assaut des plages de Normandie !

La légende raconte que Gustavo perdit son bras à fessées en sautant sur une mine, mais qu'il trouva l'amour auprès d'un infirmier américain. 

Et alors  que la France fêtait la victoire et la fin de la guerre, La Sicile jetait à la mer la statue du traite qui n'avait jamais donné de ses nouvelles. A Saint-Malo, l'urologue et la dentiste mirent au monde un petite fille  qu'il appelèrent Gustavia. 

 L'histoire de cet homme singulier était tomba aux oubliettes, mais son souvenir s'accrocha partout où il passa et sans que personne ne puisse expliquer pourquoi.



L'OgreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant