9 - Contre nature

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Un vèvè dessiné avec élégance. Un parquet en terre fine. Un tambour, une table contenant des bougies allumées, des chapelets et des cadres de photos personnalisées à l'effigie des loas les plus puissants du vodou. Baron kriminèl, Papa Legba, Grann Brigitte...

Geron Baptiste tenait dans sa main droite un Tcha Tcha Haïtien multicolore et dans l'autre main, une bouteille de Rhum blanc. Il y a quelques secondes, il avait laissé le choix à cette femme. La femme qui est assise juste devant lui. Sofia Lemoine. Après avoir soufflé, dans un geste flippant, le contenu de sa bouche, des deux côtés de la pièce, il avait autorisé la jeune fille à pike sa victime.

Sofia Lemoine était une femme de grande taille, la petite quarantaine. Elle avait des petits yeux noirs, et un nez aplati. Assise les bras croisés sur ses jambes, un poignard dans sa main droite, elle donnait face au Houngan Geron. Aujourd'hui, elle était sur le point de prendre une décision difficile. C'était soit ça, soit elle laissait quelqu'un d'autre lui voler son mari. Le père de ses enfants. Sofia était prof de littérature dans une petite école, et avec son maigre salaire, elle ne pouvait pas s'occuper de ses 3 enfants. Depuis quelques temps, elle surveillait Julien Emile. Celui-ci travaillait à Port-au-Prince,  mais elle était certaine qu'il n'y avait pas que le boulot qui le retenait là-bas. Alors au cours des semaines précédentes, elle avait poussé sa recherche un peu plus loin. Franchissant sans vergogne la limite de la confidentialité et de l'intimité. Brisant ainsi toutes les barrières de la vie secrète de son mari. Sofia pensa à une citation de Gabriel GARCÍA MARQUEZ « Tout homme a trois vies. L'une publique, l'autre privée et la troisième secrète. ». Ainsi elle s'était initié dans la vie secrète de Julien Emile et ça a payé. D'après ses renseignements, en plus de son boulot, Julien avait d'autres pratiques. Une fille. Une belle et jeune fille de 29 ans. Cindy Saint-Cyr.

Maintenant qu'elle avait atteint ses quarantaines, l'homme qu'elle a aimé depuis son adolescence, avait choisi d'aimer une fille plus jeune, plus croquante, plus douce et plus juteuse. Une trahison qu'elle ne laissera pas passer sans rien faire. Si cette fille croit qu'elle va lui voler son homme alors, elle est plus conne que ce qu'elle en a l'air.

Poignard en main. Une main tremblante, un cœur décidé, mais on eut dit que la synchronisation n'était pas complète. Oui. Elle devait le faire, sinon elle risquerait de perdre l'homme qu'elle aime et pis encore, d'élever à elle toute seule ses trois enfants. Julio, Julie et James.

Sofia avait demandé conseil auprès d'une amie, Marijot. Une commerçante qui tapissait ses marchandises non loin de Manquette, le petit village bien aménagé situé au sud de la Grand-rue. Marijot était vielle, très vielle. Elle avait la peau plissée, manquait plusieurs dents et était penchée vers l'avant. Elle avait des faux airs d'une sorcière d'un film que Sofia avait regardé un jour. La légende raconte qu'elle était lougarou et c'était elle qui avait causé la mort de son mari, après l'avoir monté pendant plusieurs années. Évidemment que Sofia se méfiait d'elle. Mais à cause des rumeurs qui éloignaient la vielle dame des autres habitants du quartier, elle pouvait lui demander conseil sans vraiment s'inquiéter. Personne ne le saura.

D'après Marijot, la jeune fille qui essayait de lui voler son homme avait elle-même choisi le chemin de la fatalité. Qu'à sa place elle aurait gagné un 4 chif  avec son âme. Après leur discussion, Sofia avait longuement réfléchi, si elle arrive à faire ce que la vieille dame lui avait raconté, elle n'aura plus aucune dette et ouvrira une petite boutique de bijoux à Manquette.

Aujourd'hui, à cette heure précise, elle avait l'opportunité de récupérer son mari, mais aussi de gagner une somme colossale d'argent. Poignard en main. Après ça il n'y aura pas de retour possible.

***

Les lumières scintillantes de l'étage supérieur de l'hôpital parurent comme une panne d'électricité, dans le couloir et dans les six chambres. L'une d'elle céda, celle de la salle de bain où se trouvait le corps sans vie de Cindy. L'infirmière qui était sur place arracha un cri de peur tant l'impact l'avait surprise. Le docteur Janvier esquissa une grimace. Intrigué par les événements, il se mit promptement debout. Des chaires de poules vrillaient ses avant bras et une sensation de fourmillements parcourut son cuir chevelu. Que ce passe t-il encore ? Son côté rationnel, lui fait penser à une panne d'électricité, mais très vite son côté superstitieux prend le dessus. Il se rappelle que la jeune fille, avait tenté de lui dire quelque chose tout à l'heure avant qu'il ne quitte la chambre.

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