Chapitre 3

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— Lou, tu devrais t'asseoir un moment, ce que je vais te dire va sûrement pas te plaire, me dit mon éditrice à la seconde où je décroche.

— Je suis déjà assise, je suis dans le café de Rob'. Qu'il y a-t-il ? As-tu déjà relu mes premiers chapitres ?

Après avoir passé plusieurs journées à lire autant de romances dont j'étais capable et de nombreuses soirées à éplucher les recherches de Madeleine sur les sujets qui marchent ces dernières années, j'ai commencé une ébauche de premier jet. Je me suis sentie plutôt inspirée et j'ai écrit cinq chapitres d'affilée. Mon éditrice, ravie de mon avancée spectaculaire, a été excitée à l'idée de me relire. Je lui ai fourni le résultat de longues heures de travail hier et j'attends à présent son retour avec impatience.

— Je t'appelle justement pour ça.

Son ton ne me dit rien qui vaille. J'avale difficilement la gorgée de matcha latte et ouvre grand mes oreilles, prête à recevoir les critiques de mon éditrice. Même si ça fait du mal de l'entendre, elle me fait toujours des retours constructifs qui permettent à mes écrits de grandir et de s'améliorer pour le mieux.

— Je pense que tu vas devoir tout réécrire, souffle-t-elle. Le début de la relation est bancale et tirée par les cheveux. Et je n'arrive pas à ressentir la moindre émotion lorsque je lis les échanges entre les personnages. Je n'arrive pas à entrer dans le corps de la protagoniste et encore moins à apprécier le love interest. Aucun papillon, aucune bouffée de chaleur, pas même un sourire de satisfaction.

Les paroles de Madeleine me figent sur place. Les prononcer lui semble aussi douloureux, mais elle fait son métier. Même si je savais que j'aurais quelques corrections à apporter à mes écrits, je ne pensais pas que je manquais autant de compétence. Certes, c'est un genre nouveau pour moi, mais j'ai tellement travaillé ces deux dernières semaines que je pensais être prête pour me jeter à l'eau. Mais à priori, ce n'est pas suffisant.

— Je ne pense pas y arriver, soufflé-je. Peut-être était-ce trop ambitieux pour moi de croire que je réussirais à écrire une romance.

— Mais non ! s'exclame Madeleine. Ce n'est pas le moment de baisser les bras, ce n'est que les débuts ! Tu devrais t'inspirer de tes propres relations, relater ce que tu as ressenti en rencontrant ton premier amour, les émotions qui t'a traversé lorsque tu as été embrassée pour la première fois.

Le silence répond par lui-même sur mon inexpérience en matière d'histoires d'amour. Ce n'est pas seulement que je n'ai jamais lu ou écrit ce genre, mais aussi que je ne l'ai jamais vécu. Comment écrire sur la façon dont une femme tombe amoureuse lorsque je ne l'ai jamais ressenti ? Je n'ai aucune idée du date idéal, ni de ce qui ferait craquer une fille assez pour vouloir passer sa vie avec quelqu'un d'autre.

— Ce n'est pas vrai ! s'écrie mon éditrice, comme si je venais de lui annoncer que j'avais un troisième bras. Tu dois y remédier !

— Ah, parce que c'est si simple ? me moqué-je. Si j'ai passé les trente dernières années de ma vie célibataire, c'est peut-être parce que c'est pas aussi simple de trouver l'homme idéal !

D'après le silence religieux à l'autre bout de la ligne, Madeleine a l'air de se triturer les méninges pour trouver une solution à mon manque d'expérience.

— Tu m'as dit que tu avais fait du théâtre enfant, n'est-ce pas ?

— Oui, mais quel rapport ? demandé-je, ne comprenant pas où mon éditrice compte m'emmener.

— J'ai une idée alors ! s'écrit-elle.

— J'ai l'impression que je ne vais pas aimer la suite de cette conversation.

— Tu devrais faire semblant de sortir avec quelqu'un !

Sa voix enthousiaste me donne l'impression qu'elle vient de me partager l'idée du siècle, mais lorsque je me concentre sur les mots qui sortent de sa bouche, je n'ai jamais été aussi peu convaincue de ma vie. Je suis même abasourdie par le fait qu'elle pense qu'elle vient d'avoir une bonne idée qui allait me permettre d'écrire mon prochain best-seller.

— Quoi ? m'étranglé-je. Ce trope de fake dating que j'ai lu dans plusieurs romans ? Je crois que tu as pris trop à coeur tes dernières recherches. Ce sont des fictions ! Je ne vais pas faire ça dans la vraie vie !

— Pourquoi pas ? Tu pourrais expérimenter les sorties entre amoureux et les moments intimes. Ça pourrait t'aider à écrire tes scènes ! Et avec tes talents d'actrice, tu seras capable de t'immiscer dans la peau de ton personnage et écrire des chapitres plus vivants et riches en émotions !

— Et puis quoi encore ? Je tombe amoureuse de mon faux copain pour développer au mieux la relation entre mes personnages ?

— Ça, c'est toi qui le dis ! Mais je pense que ce ne serait pas une mauvais idée. Après tout, tous les fakes dating que j'ai lus finissent bien et les deux protagonistes confessent leur amour dans une effusion d'émotions !

— Mais parce que ce sont des romans, Maddie ! Tu ne peux pas croire que ce soit possible en vrai ! Toute cette romance t'a retourné le cerveau.

— Je suis sûre qu'il y a toujours une part de réalité dans les romans.

Je soupire si fort que le propriétaire des lieux fronce les sourcils à mon intention, comme pour me demander ce qui me tracasse à ce point. Je lui souris pour lui faire comprendre que je gère la situation. Après tout, ce n'est plus la première idée foireuse que Madeleine me souffle. Je me souviens encore des bleus que j'ai eu après avoir tenté de reproduire une scène de combat avec un professionnel, la fois où j'ai failli me noyer en nageant à contre-courant pour que je rende ma scène plus réaliste. C'était une idée bancale mais qui m'a finalement aidé à ajouter du réalisme à mon roman. Même si je n'ai jamais apprécié être le cobaye de ses pensées loufoques, je dois reconnaître qu'elle a toujours été de bons conseils malgré tout.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dis-je tout de même, mais avec moins de véhémence que les fois précédentes.

— Qui ne tente rien n'a rien. Tu devrais essayer et donner une chance à ce pauvre trope que les lecteurs adorent. Peut-être que cela fera une excellente histoire et te donnera un tas d'idées florissantes !

— J'en doute fort.

De mauvaise foi, je continue de rejeter en bloc ce qu'elle me propose même si sa proposition commence à faire son chemin dans mon cerveau. Elle a raison, je n'ai rien à perdre. Au pire, je me ridiculise en étant une fausse petite amie en carton, mais je ne suis plus à une humiliation près. Et puis, je dois écrire cette romance si je souhaite continuer à être publiée et avoir assez d'argent pour quitter mon appartement misérable. Je dois mettre toutes les chances de mon côté et je suis prête à céder aux folies de mon éditrice si j'ai une chance d'y parvenir. Sauf qu'il reste un problème, et de taille :

— Aucun homme ne voudrait former un faux couple avec moi.

— Je réfléchis, mais je n'ai aucun ami célibataire à qui je pourais demander ce service, souffle Madeleine. Tu n'en as pas de ton côté ?

— Je passe mon temps derrière mon ordinateur, comment veux-tu que je trouve le temps de me faire des amis ?

— C'est vrai...

Je relève les yeux de mon document word, là où mes premiers chapitres sont enregistrés mais que je ne vais pas tarder à supprimer, et mon regard se pose sur un jeune homme. Le fils du propriétaire est en train de laver les verres des clients qui viennent de quitter le café. Ses tatouages se mouvent lorsque ses muscles se contractent dans une danse hypnotisante. Sentant mon attention sur lui, Alban relève les yeux et croise les miens tandis qu'un frisson trahit mes pensées impures. Lire toutes ces romances m'a aussi retourné le cerveau.

— Je crois que j'ai trouvé quelqu'un à qui je peux demander

My love romanceWhere stories live. Discover now