21| RANCŒUR BAFOUÉE

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— Je ne saurai dire ce qu'il se trame dans ton esprit Ivarsen, rétorque-t-elle finalement.

— Tu penses que je lis en toi comme dans un livre ouvert peut-être ? Je ne suis pas divin, laisse-moi te dire que c'est réciproque, dis-je à quelques pas d'elle. 

C'est insensé, mais j'ai tant de fois préféré lui chuchoter au creux de l'oreille, par peur que mes pensées s'ébruitent dans celles d'un autre.

— Après tout, ton cerveau est inondé de secrets. N'est-ce pas gamine ? ironisé-je. 

Ses yeux se couvrent par un voile d'amusement. Elle se penche sur la table et soutient sa tête de ses deux mains en me contemplant, l'air venimeuse.

— Serait-ce le retour de ce surnom idiot ? Je n'ai jamais compris pourquoi, tu n'as qu'un an de différence avec moi, se moque-t-elle en souriant bassement.

— Le jour où je t'ai trouvée sous la pluie, tu me semblais petite et frigorifiée. Et j'ai pensé qu'il n'y avait qu'une jeune imbécile capable de s'enfermer dehors sous un temps pareil, éclaircissé-je en arpentant la salle à la recherche de matériel. D'une façon, il fallait bien que je te sermonne pour ton irresponsabilité. 

Ses yeux me pourchassent alors que je fouille parmi les pinceaux pour en choisir un qui conviendrait.

— Ce n'était pas la mienne, réplique-t-elle aussi sec.

— Non, ce n'était pas ton irresponsabilité, rie-je. C'était la sienne

Ma phrase se clôture sous un ton plus ascendant, formé de piques invisibles. Cela parais lui convenir, Lucrèce ne rajoute rien. Elle se contente de m'observer faire en silence. Chose que j'apprécie beaucoup plus, près d'elle.

Le silence. 

Je sais qu'elle médite chacune de mes paroles, c'est tout ce dont j'ai besoin de savoir. Que les mots restent aussi durement qu'une cicatrice. Que je la marque par des paroles qu'elle ne pensait jamais entendre. Parce qu'après tout, Lucrèce ne voulait même plus se souvenir du son de ma voix. 

Nous ne sommes pas à associer. 

Pourtant, je ne peux pas m'empêcher d'être illuminé d'idées en sa présence. Elle soutient longtemps cet air suspicieux.

— Tu souhaitais avoir la marque de mes lèvres comme signature ? sonde-t-elle. 

Dos à elle, occupé à chercher les pots et les crayons dans la grande armoire, je me ravis en songeant qu'elle s'interroge toujours sur mes motivations.

— Non, contré-je en me retournant avec tout le matériel dont j'ai besoin dans les mains. 

J'appose le tout sur une étagère sur roulettes, et la pousse jusqu'à l'établi, depuis là, elle me guette. Après l'avoir amenée à hauteur de la table, je m'assois sur un tabouret en face d'elle. Ensuite, je pioche dans le meuble un chevalet réglable. Je le pose et l'agence à ma guise tout en y plaçant ma toile seulement marquée par Lucrèce.

— Alors quelle est la raison ? 

J'étire un si grand sourire en coin qu'elle le prend pour de l'insolence. Ses jolis sourcils se froncent et elle remue sa bouche, interdite. Je tire un fusain pour venir dessiner la base.

— C'est bien plus simple pour moi, je ne suis pas assez doué pour représenter, aux détails près, ta bouche. Mais c'est ce que je veux faire, sauf que les tubercules qui strient tes lèvres sont uniques et trop précises, fais-je remarquer. Seulement, regarde. 

Mes doigts pointent la trace qu'a laissée son maquillage. Lucrèce se penche en avant scrutant de plus près.

— Ton rouge à lèvres les démarque bien, donc je peux les reproduire.

BRITOMARTISWhere stories live. Discover now