Chapitre 1

58 7 2
                                    

" Mais qu'est-ce que je fous là ? Non, je te jure ! C'est tout moi, ça. À ne pas savoir dire non, je me retrouve accoudé à une table, dans une boîte de nuit, moi qui ne sais pas danser et qui ne veux surtout pas tenter cette expérience (j'ai encore un peu d'amour propre et un sens du ridicule). Je ne bois même pas d'alcool !"

Je suis là, plongé dans un profond ennui à subir une ambiance sonore et lumineuse agressive et à supporter les sarcasmes de mes potes, qui m'ont traîné bien malgré moi dans cet endroit bondé. Je contemple, avec dépit, la mousse pétiller dans mon cocktail California sans alcool.

Soudain, une clameur m'arrache à mes sombres pensées. Je relève la tête par curiosité. Et c'est alors que je la vois. Je sens une chaleur envahir mon corps tandis que mes joues s'empourprent. Une apparition d'une telle beauté ne peut être qu'un ange. Un ange virevoltant et décrivant des arabesques impossibles avec une grâce divine autour d'une barre verticale de chrome. Des acrobaties d'une telle souplesse qu'elles sont un défi aux lois de la physique. Je suis à tel point subjugué que le monde autour de moi s'est évaporé. J'en ignore même les railleries insultantes de mes potes. Bien sûr qu'elle n'est pas pour moi ! Je ne le sais que trop bien. Qu'est-ce qu'une déesse ferait avec un type aussi insignifiant que moi et mal attifé qui plus est ? Mais je peux rêver ?
Son corps revêtu de paillettes dorées et argentées s'incline avec élégance pour saluer un public exalté par sa prestation.

Le spectacle est déjà terminé ? Mon cœur se comprime tandis qu'une vague de tristesse m'envahit. Mes yeux n'ont d'autre choix que de la suivre. Elle descend de la scène et disparaît dans la foule aussi vite qu'elle est apparue. Mon regard se perd : je suis sûr que je ne la reverrai plus. À moins que je ne revienne les soirs où elle danse ?

Ma boisson est maintenant terminée. Je garde dans la bouche un goût sucré et amer, comme un écho à cette soirée absurde où, une fois de plus, je ne suis qu'un étranger spectateur d'une situation qui m'échappe. Avant que l'ennui ne me tue, je décide de partir. Un regard circulaire vain pour rechercher mes copains afin de les saluer. Ils doivent être sur la piste de danse. Vu le monde présent, je me résous à ne pas perdre davantage de temps et me dirige vers la sortie. Je jette néanmoins quelques coups d'œil autour de moi, pris de remords. C'est alors que je l'aperçois de nouveau. Seuls quelques pas nous séparent. Je reste un moment interdit. Tout mon être ne demande qu'à aller vers elle. Mais la raison trouve d'excellents arguments pour m'en dissuader. En effet, je ne suis pas des plus habiles pour engager une conversation digne de ce nom. Mon degré de timidité est proportionnel à l'intensité de mes émotions. Que dire ? Les banalités d'usage ? Ridicule ! Lui dire qu'elle est magnifique, que j'ai trouvé son spectacle époustouflant ? Futile ! Plutôt disparaître dans un trou de souris ! Cette capacité à bredouiller lamentablement mes sentiments constitue-t-elle, pour autant, un motif suffisant pour la laisser partir ? Oui ! Les souvenirs cuisants de mes échecs passés envahissent mes pensées et annihilent ma volonté déjà bien chancelante. Et c'est comme cela que je finirai par passer à côté de ma vie. Je quitterai ce monde dans les regrets de cette existence loupée. Il faut que j'arrête une bonne fois pour toutes de déblatérer ces inepties. À hésiter ainsi, je finis par la voir disparaître par la porte de sortie qui vient de se refermer. Je décide de m'armer de courage (il serait temps) et me résous enfin à agir. Je vais la suivre et les idées me viendront en chemin. Je me fraie un passage en jouant des coudes et en ignorant les protestations des gens que je bouscule. J'accélère le pas. Mon cœur bat à tout rompre. Je vais la perdre, c'est sûr. Je sors en courant et je soupire de soulagement quand je distingue sa silhouette dans le lointain. Je me presse pour réduire la distance qui me sépare d'elle. Puis, je ralentis la cadence de mes pas afin d'éviter de me faire repérer. Il me vient une idée que je trouve brillante. Pour conjurer le sort et éviter de reproduire mes échecs, je vais l'observer ; ainsi, j'en apprendrai davantage sur elle et je pourrai l'aborder plus facilement. Cela me semble pas mal...

Je rêve donc je visOù les histoires vivent. Découvrez maintenant