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La maison d'Iva brûle.

Les imposantes flammes s'élèvent si haut qu'elles semblent lècher le ciel. Ce ciel bleu sans étoiles, d'un indigo foncé profond. La contraste est d'une rare violence entre cet à-plat de couleur uni et ce feu empli de nuances chaudes.

Autour, la neige. Plate, lisse et immaculée. De par et d'autre, des pins regroupés en bosquet, qui ont l'air de silhouettes noires, anguleuses, pointues, comme la forêt dans ce vieux film d'animation.

Blanche-Neige et les Sept Nains

Un horrible craquement retentit ; c'est le toit de la maison qui vient de s'effondrer.

Il y a cinq personnes à l'intérieur, mais on ne les entend pas. Le seul village aux alentours est loin. De là-bas, ils ne verront qu'un grand et vague halo rouge et sinistre et peut-être une ou deux flammes assez hautes pour déchirer le voile nocturne.

Devant cette maison qui brûle, il y a une enfant avec son chien. Cette enfant a neuf ans et demi et était juste sortie chercher le molosse enfermé dehors. Il y avait une odeur étrange dans la cuisine, il fallait croire que c'était le gaz qui, plus tard, a prit feu.

Dans la maison, il y a encore trois personnes ; deux parents et un enfant en bas-âge.

La gamine sert le chien contre elle, enfouissant ses petits doigts rougis de froid dans le long poil du berger du Caucase, le regard rivé vers le brasier.

Un incendie d'une telle ampleur peut rapidement, aux yeux d'un enfant, prendre des apparences de monstre dévorant, tel un ogre à l'insatiable appétit et aux yeux ardents.

De son autre main, l'enfant gratte la brûlure qui déforme son œil gauche. Ses yeux bleus clairs prenaient une lueur fantomatique avec les flammes qui se reflétaient dedans.
Sa bouche est entrouverte, ses lèvres sont sèches, gercées et craquelées.

Son regard se détache un instant du brasier pour se fixer sur un traîneau tiré par des six chiens sibériens qui avance vers elle.

Le molosse aboie.
Le bruit se répercute dans la nuit.

L'enfant se lève. Jusque là, elle se tenait prostrée à genoux. Ses chaussures lui tiennent à peine chaud, ses doigts sont brûlants de froid.

Quand l'homme arrive prêt d'elle, il retire son bonnet et abaissé son cache-cou molletonné. C'est Nikolaï, un ami du papa de l'enfant.

Cette dernière le reconnaît et baisse sa garde, le berger arrête de grogner.

- Tu vas bien, ma grande ? demande-t-il en s'accroupissant à son niveau.

Iva lui fait oui de la tête. Elle n'est pas encore en état de parler, elle a encore peur. Mais elle ne pleure pas, parce qu'Iva, nous le savons, n'est pas un enfant comme les autres.

Ses longs cheveux rèches et noirs comme le charbon lui couvrent le visage et le dos, emmêlés par le vent vivifiant.

Nikolaï pose ses mains sur ses épaules, deux grandes poignes de papa, rugueuses et usées sur deux épaules frêles et fines de fillette. Les yeux atypiques d'Iva croisent ceux de l'homme, remplis de bienveillance et de chaleur. Il l'invite à monter sur son traîneau pour qu'il la ramène chez lui et sa famille, au village.

L'enfant s'exécute et s'éloigne avec son chien de sa maison qui se consume toujours. Iva n'en détache pas les yeux.

C'est de sa faute. C'est de la faute du feu.

C'est lui, cet ogre, ce monstre rouge, qui les a emporté loin d'elle et qui continue de dévorer sa maison.

Désormais, elle se méfiera de lui.

BRASIER Where stories live. Discover now