Chapitre 1 : Le jour où j'ai failli mourir (adolescence)

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Début d'écriture : le 04/12/2023
Date de modification / correction : le 28/12/2023
TW : Ne lisez pas les mots suivants si vous ne souhaitez pas connaître les sujets abordés (violences médicales, hôpitaux, prise de sang, souffrance, chirurgie).
Avertissement : il s'agit bien évidemment de mes propres souvenirs. La mémoire est quelque chose de complexe. Certains passages peuvent avoir été intensifiés, d'autres minimisés. Il s'agit de ce dont je me souviens MOI. C'est important de le rappeler car les émotions, les ressentis peuvent être malheureusement parfois biaisés. J'ai été la plus juste et factuelle possible. Je sais pertinemment que je n'ai pas à me justifier car il s'agit de mon vécu et que ça m'appartient. Mais ça me semblait important de faire ce rappel. N'oubliez pas que chaque personne est différente et que le rapport à la douleur varie d'un individu à l'autre. J'avais également un passif médical assez difficile. Merci d'en tenir compte. Et je m'excuse par avance si j'ai « oublié » certains passages ou événements. Il est normal d'avoir des « trous », là aussi le cerveau est complexe.


Événements et souvenirs :

Malheureusement, je m'en souviens comme si c'était hier. Je m'étais réveillée chez mes grands-parents car j'y passais un séjour. Si mes souvenirs sont bons, c'était en période de vacances scolaire. J'étais en BAC Professionnel cette année-là, donc je pense que j'avais environ 16-17 ans. Je m'étais levée avec un mal d'estomac assez marqué, comme si j'avais tellement faim que ça me rongeait de l'intérieur. C'était vraiment tenace, j'avais beau boire et manger ça ne passait pas. Il faut savoir que je suis le genre de personne qui a toujours une trousse à pharmacie sur elle, j'avais donc pris un médicament de type « pansement gastrique ». Une heure plus tard, voyant que la douleur ne diminuait toujours pas et qu'au contraire elle s'intensifiait, ma grand-mère avait décidé d'appeler le médecin de famille pour prendre un rendez-vous. Par chance, nous avions réussi à obtenir une place dans la matinée. Il est important de noter qu'avant de me déplacer quelque part, je fais systématiquement un tour aux toilettes car nous vivons en campagne où tout se situe au minimum à 20 minutes de route. À ce moment-là une autre douleur s'était déclenchée en bas à droite de mon ventre. J'ai de suite compris qu'il s'agissait sûrement d'un début de crise d'appendicite. J'ai alors partagé cette information à ma grand-mère de manière sereine car rassurée. En effet, je comprenais enfin ce qui n'allait pas. À cet instant précis, j'étais très loin de me douter que cette journée tournerait au cauchemar.

Mes parents travaillant tous les deux ce matin-là, c'est ma tatie qui m'a amenée chez le médecin. Il a de suite confirmé le diagnostic d'une crise d'appendicite et nous a recommandé de nous rendre aux urgences. Nous avions le choix entre deux lieux de distance équivalente. Un hôpital public se situant à 35 minutes de route ou une clinique privée se situant dans une petite ville opposée à 30 minutes. Le premier n'ayant pas une très bonne réputation et ayant eu des échos positifs du second, nous avons opté pour le deuxième choix. Nous arrivons donc aux urgences de cette fameuse clinique. Pendant ce temps, il faut savoir que mes douleurs s'étaient clairement intensifiées. Nous passons donc par l'étape d'enregistrement administratif en décrivant les symptômes et en précisant que nous venons suite aux instructions de mon médecin traitant. Une fois ce passage réglementaire effectué, nous sommes invitées à patienter dans la salle d'attente des urgences qui se situe dans une pièce en face. Je vous le donne dans le mile, un monde fou s'y trouve déjà, la pièce est pleine. Il ne reste que 2 ou 3 sièges de libre. Je rentre, je dis bonjour et je m'installe. À ce moment-là il est déjà compliqué pour moi de rester assise et en place, je commence à douiller sévère. Plus les quarts d'heure passent, plus la douleur devient de moins en moins supportable. Au bout d'un certain temps je commence à gémir et à me tordre de douleur. Je ne sais plus comment me positionner car aucune posture ne m'apaise. Les gens me regardent mal à l'aise d'autres font comme si je n'existais pas. Ma tatie arrive à m'obtenir un anti-douleur mais ça ne me soulage absolument pas. Plus tard, la souffrance est telle que je craque, me plie en deux et me met à pleurer. Les autres patients commencent à s'impatienter, mon état les met profondément mal à l'aise. Certains ont mal pour moi, une autre essaie de me rassurer. Pendant ce temps, certaines personnes sont prises en charge. Ma tatie commence à ne plus supporter de me voir ainsi, elle se dirige donc vers le guichet pour demander de l'aide. On lui répond qu'il va falloir se montrer patientes comme tout le monde, car les patients passent par ordre d'arrivée. Je commence à désespérer et à me sentir en colère aussi. Je suis dans l'incompréhension la plus totale. En effet, il y a des personnes avec un simple plâtre au pied, un bandage à l'orteil ou un bras en écharpe qui passent avant moi. Une patiente commence à s'indigner en disant « mais laissez-là passer devant vous cette pauvre gamine, vous voyez bien à quel point elle a mal, moi je lui laisse ma place ». Je me souviens l'avoir remercié en larmes. Mais la dame avec un orteil en vrac fait semblant de ne pas entendre et passe quand même devant. Vous comprenez c'est normal, elle est arrivée 1h avant moi. La personne soupire d'exaspération en disant que les gens devraient avoir honte. Ma tatie commence à avoir les larmes qui montent. Selon elle la situation devient inacceptable. (Attention, je ne dis pas que j'aurai dû avoir tous les droits, j'ai seulement constaté à ce moment-là l'ampleur de l'égoïsme de la majorité). Pour moi, chaque minute qui passait devenait un supplice. J'avais perdu toute notion du temps, tout n'était que souffrance, je voulais juste que tout s'arrête. J'aurai rêvé qu'on m'assomme pour ne plus être consciente. Ma tatie est retournée au guichet précisant qu'il fallait qu'ils fassent quelque chose pour diminuer ma douleur, qu'ils ne pouvaient pas me laisser dans cet état. L'infirmière a répété bornée, qu'il fallait que je prenne sur moi, que ce n'était pas nous qui décidions, qu'il y avait du monde, que c'était comme ça. Ma tatie folle de rage est sortie pour appeler mon médecin traitant le suppliant de faire quelque chose. Qu'elle ne savait plus quoi faire pour me venir en aide. Elle souhaitait recueillir ses instructions et informations pour savoir quels étaient nos droits et pour que ma douleur puisse enfin être soulagée. Mon Médecin traitant a fait quelque chose d'extraordinaire ce jour-là. Il a appelé la clinique personnellement pour leur passer un savon mémorable. Comme par magie, cinq minutes après j'étais appelée à suivre l'infirmière. Inutile de vous dire qu'elle était très en colère et a refusé que ma tatie m'accompagne, prétextant que j'étais une grande fille. Je vous rappelle que j'étais encore mineure, ma tatie a alors insisté et elle a fini par accepter. Elle a par la suite commencé à s'agacer car je n'avançais pas assez vite à son goût (normal, j'étais pliée en deux tellement j'avais mal) « allez, dépêche toi, je n'ai pas que ça à faire, d'autres attendent, déjà que tu es passée devant eux ». Je souffrais tellement que j'avais beaucoup de difficultés à me déplier et à m'installer sur la table de consultation. Il fallait que je monte sur un marche-pied et que je m'allonge, ce qui n'était pas une mince affaire. J'en avais des suées et je gémissais. « Allez maintenant je m'occupe de toi, alors c'est bon » me dit-elle sèchement. J'essaie alors de me calmer et de faire moins de bruit. Elle me pose alors les questions protocolaires habituelles. C'est ma tatie qui répond pour moi pour la majorité d'entre elles car j'arrive difficilement à m'exprimer. À ce moment-là je n'ai pas encore de fièvre et pour elle, pas de fièvre égal pas de risque. En résumé elle me dit poliment qu'il faut que j'arrête d'en faire des caisses, que ça ne doit pas être bien grave, que je dois juste avoir un début de gastro. Elle m'annonce alors qu'elle va quand même me faire une prise de sang par acquis de conscience pour voir s'il y a une trace d'infection ou d'inflammation. C'est à cet instant précis que le vrai cauchemar commence pour moi. Elle rassemble son matériel, réalise les préparatifs et là je commence à paniquer. Ce que cette dame ne savait pas, c'est qu'à cette époque-là j'étais encore phobique des prise de sang et de tout ce qui touchait aux interventions intra-veineuses. Je me mets donc à sangloter très fort, à hyperventiler, à dire « nooooooonnn pas ça, nooonnnnnn » ce qui bien entendu amplifia considérablement ma douleur. Je me tortillais encore et encore. Mon comportement a eu pour effet d'énerver encore plus l'infirmière. Pendant que ma tatie me chuchotait un « chhuuuttt » rassurant en me caressant la tête et en me répétant que tout allait bien se passer, l'Infirmière s'exclama « oh ça va, tout à l'heure encore, j'ai reçu un enfant de 5-6 ans et je peux t'assurer qu'il faisait bien moins de cinéma que toi. Lui au moins il est resté calme et a sû faire preuve de courage. Tu es quasiment une adulte quand même, tu n'as plus l'âge de pleurer ». Ma tatie outrée par ses mots a tenté de lui expliquer que j'étais phobique et que c'était en lien avec mon passé. Sa réponse tout en m'attrapant le poignet avec vigueur a été « arrête de gigoter, ça ne va pas aider ton cas, plus tu vas résister et plus ça va faire mal, c'est logique voyons. Plus tu seras contractée plus tes veines vont se rétracter, met y un peu du tien et tout ira bien ». Je me souviens avoir réuni tout mon courage pour essayer de ne plus bouger et de me détendre, tournant la tête vers la seule personne en qui j'avais confiance. Ma tatie m'a alors enserré de son bras, tout en me caressant les cheveux pour me réconforter et me rassurer. Elle fredonnait une musique à mon oreille pour occuper mon esprit à autre chose. Je n'oublierai jamais cet instant car ça a été ma bouée de sauvetage, mon point d'ancrage. Ça m'a permis de ne pas perdre pied avec la réalité. Je ressens une telle gratitude. Sans ça et sans elle, je ne sais pas comment ça aurait pu tourner. Je pense que j'aurai vrillé complet. Mes larmes ruisselant toujours sur mes joues mais réussissant enfin à réguler ma respiration, je sens que l'infirmière n'arrive toujours pas à me prélever. Elle m'enserre alors le poignet avec davantage de force, en me disant d'arrêter de trembler, de tendre mon bras davantage, qu'à cause de ça elle n'y arrive pas, que mes veines roulent, cassent, qu'elles sont trop fines, que je suis trop tendue. Ce qui a pour effet de refaire monter l'angoisse, les sanglots redémarrent avec les difficultés respiratoires qui vont avec. Je recommence à perdre pied, ma tatie fait tout ce qu'elle peut pour m'aider, je crois même qu'elle m'a défendu, je ne sais plus. Honnêtement, pour moi ce passage a duré comme des heures, alors que je suis persuadée qu'en réalité ça n'a pas dû dépasser les 20 minutes. Je crois qu'à ce moment précis j'oscillais entre conscience et inconscience. Mes souvenirs sont très flous. Je me souviens juste avoir ressenti des douleurs ingérables entre celle d'origine et celle se situant au creux de mon bras. Je sentais qu'on insistait avec une aiguille et qu'on me charcutait. Trou noir, puis à demi consciente j'entendis « c'est bon, c'est fini ». Après deuxième trou noir dans ma mémoire.

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