1 Le Garçon aux Iris Crépuscule

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 Il y a ce regard qu'il veut peindre sous ses paupières.
Ces iris couleurs crépuscule.

Il tient pour toile l'ombre du soir, et ses souvenirs pour encre.

Il couche sur la voute étoilée l'esquisse cramoisie, puis, il se lamente car il n'en possède pas l'éclat.

Son incomplétude le hante, le pourvoit d'une nuit sans sommeil.

Alors il attend le jour, comme on attend les premières lueurs du printemps.

Car il veut le retrouver, ce garçon aux iris crépuscule.

Tighnari est debout, happé par ses songes cotonneux, lorsque le soleil se lève dans un ciel sans nuage. Il fait du thé, ce matin, prépare un en-cas qu'il glisse dans un vieux sac en toile recousue. Sa mère le rejoint dans la cuisine, elle retire ses gants épais, rustres. Elle sent le terreau, et l'odeur se confond à celle du thé. Mais il la trouve réconfortante, tous deux se complaisent des senteurs terrestres boisées : celle du jardin humide, du parterre fleuri, du potager coloré. Elle se sert une tasse de thé sans sucre, dans un soupir témoignant d'un précédent effort. Mais elle sourit, car une journée radieuse s'annonce sur le port. Elle glisse un baiser sur le front du rêveur, puis elle s'éclipse dans le jour opaque.

Lorsque le soleil brille assez fort dans le ciel, le village s'anime au chant allègre des commerçants sur le quai, du bruissement des cales en bois contre le vieux port, et du refrain solennel des vagues errantes. Ses yeux se posent sur ces ombres mouvantes. Mais il ne les voit pas. Leurs lèvres se forment, se déforment, tissent des mots vides de sens. Il les entend mais ne les écoute pas. Il nie leur existence, car dans son monde, il n'est rien d'équivoque.

Tighnari sort de sa poche une poignée de moras scintillants, en tire le juste compte, et glisse pièce par pièce la somme des trois revues scientifiques datées. Il oublie son ticket de caisse sur le comptoir poussiéreux et part comme une ombre fugitive, lorsque le caissier lui dit machinalement "le compte y est", sans un "bonne journée, au revoir". Il range précautionneusement ses achats du jour dans son sac tout gris, puis il enfourche son vélo. Il pédale comme un forcené, un peu gauche sur les bords. On lui râle dessus, il s'excuse à la va-vite et poursuit sa course plus loin sans jamais s'arrêter. Tighnari longe le vieux port, traverse le village Vimara, remonte quelques chemins sinueux. Et lorsque la terre abrupte se dresse en obstacle, il poursuit son chemin à pied, traînant à bout de bras son vélo rouillé. Il le couche un peu en retrait dans les hautes herbes, à quelques pas d'une vieille bicoque bleue comme la mer.

Deux grands yeux l'observent derrière une clôture vétuste, parsemée d'une couche de peinture blanche, écaillée par l'usure du temps.

Une main s'agite dans le vide, fait de grands gestes indiscrets. Et deux âmes se tissent, s'éveillent dans le regard de l'un comme de l'autre, lorsque apparaît le garçon aux iris crépuscule.

"Tu es le garçon de l'autre jour." qu'il dit, "Le garçon aux pâquerettes."

Puis s'esclaffe d'un rire léger, d'un rire qui apaise les cœurs, ledit garçon aux pâquerettes. Pulicaire dysentérique...
S'étaient des Pulicaire dysentériques. pense tout bas Tighnari, mais s'il dit "pâquerettes" alors ce sont des pâquerettes. Et s'il lui dit que le ciel est vert, alors il veut bien le croire aussi.

La première fois qu'ils se rencontrent, c'est dans ce jardin, aussi vieux que le monde, un jardin plein de souvenirs étrangers surplombant un petit chalet discret sans le souffle d'une vie. Tighnari observe ces belles fleurs sauvages, il les étudie, les dessine. Faites muses d'une esquisse aux pastels trop gras pour ne pas lui laisser de traces disgracieuses sur les doigts. La première fois qu'ils se rencontrent, le garçon porte ces vêtements couverts de peinture bleu turquoise, ses cheveux couleur argent, joliment noués, révèlent les courbes suaves de son cou, sa nuque, ses épaules puissantes.
Tighnari le trouve beau, plus beau qu'une chaude nuit d'été. La première fois qu'ils se rencontrent, il lui dit un peu gêné qu'il se trouve sur une propriété privée, Tighnari se confond en excuses parce qu'il ne s'en est pas rendu compte et range ses effets la tête basse.
Une petite carte glisse de son magazine hebdomadaire, et le regard de l'autre s'illumine. "Si tu m'offres cette carte, je veux bien te laisser squatter mon jardin."

S'était lors d'une chaude après-midi d'été, comme on en voit souvent par ici au mois d'août.

Tighnari aime ses jolies fleurs, mais il aime encore plus ces yeux qui brillent plus que le jour, et portent avec eux toutes les douceurs de l'été. Alors il lui dit "J'ai quelque chose pour toi." et sort de son sac ces trois revues au sein desquelles se trouvent chacune une carte collector. Il les lui offre, tout en sentant l'embarras lui teinter les joues malgré lui. Puis, il attend l'étincelle qui mettra le feu aux poudres. Ses mains moites s'accrochent à son bermuda, et il attend.


 Il attend, mais rien ne se passe.


Il entend néanmoins 
ce rire qui l'enivre, le couvre d'allégresse, ce rire doux et pur.
Puis, il pense que cela vaut mieux que tous les plaisirs du monde lorsqu'il sent son cœur et son âme vibrer à l'unisson.


"Je te taquinais, tu sais ?

Si cela te plaît de venir, alors fais-moi signe. Ne te sens pas obligé de me payer.

Je serai ravi de te revoir..."

LEMONADE { CYNO x TIGHNARI } MODERN AUWhere stories live. Discover now