4. Une nuit riche en mystères

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— Êtes-vous Viviane ?

Le jeune roi avait entendu parler de la fée, amie de son mentor, mais jamais rencontrée. On la disait extrêmement belle, extrêmement puissante ; les rapports entre Merlin et cette magicienne demeuraient complexes et douloureux.

— Nous parlerons plus tard, répondit vivement la jeune femme.

Arthur décida d'y voir une confirmation.

Il se redressa et lutta contre un vertige. Sa visiteuse voyait juste : il n'était pas dans son état normal, se sentait lourd et gauche, comme s'il avait succombé aux attraits de la vinasse, pareil à Kay. Il lut l'inquiétude dans ses prunelles, lorsqu'elle revint vers lui pour lui offrir son épaule.

— Ça ira, protesta-t-il.

Elle posa un doigt sur ses lèvres et acquiesça, puis se dirigea vers le passage secret. La curiosité d'Arthur flamba et agit comme un aiguillon : il la rejoignit de son pas maladroit. Le pan de mur avait coulissé, révélant l'escalier qui s'enfonçait dans le sous-sol.

— Tiens-toi bien à la rampe.

La magicienne passa devant lui. À la lumière des torches qui jalonnaient les souterrains, Arthur distingua mieux sa stature – grande pour une femme – et sa houppelande, d'un tissu noir, soyeux, tel qu'il n'en avait jamais vu. Il parvint à descendre les quelques marches sans tomber. Les brumes du poison qu'on lui avait administré se dissipaient à chaque pas, mais il conservait une étrange sensation d'être à côté de lui-même, peut-être dans un rêve.

Peut-être dans un cauchemar.

L'étrangère savait quelle direction emprunter : elle s'engagea dans un couloir latéral, jetant de temps à autre un regard derrière son épaule pour vérifier qu'il suivait. Même si le monde était flou, même si le sol semblait élastique, même si par moments, tout tournait autour de lui, Arthur persévéra. Comme il pouvait vaincre un monstre, il pouvait combattre cette stupeur induite par un sortilège ou un philtre.

Ils atteignirent une porte d'argent. Arthur demeura ébloui par la beauté lisse de cette merveille d'orfèvrerie, tandis que son guide y glissait une clé minuscule. Un déclic plus tard, elle s'ouvrait sur une petite salle plongée dans l'obscurité. La lanterne que transportait Viviane révéla quelques meubles aux formes étranges, tels que seuls les enchanteurs en possèdent. Elle referma soigneusement la porte d'argent derrière eux puis le mena jusqu'à une chaise qui semblait formée de métal noir.

— Je sais que ça va te paraître étrange mais... je vais te demander de t'asseoir ici et de m'attendre. Sans bouger. J'en ai pour... une dizaine de minutes, pas plus, j'espère.

D'une légère impulsion, elle le poussa vers le siège, où il se posa avec reconnaissance.

— Essaie de ne pas t'endormir. Ne fais pas de bruit. C'est important...

Elle avait déjà reculé vers la porte d'argent, emportant avec elle sa source de lumière blanche.

— Je reviens vite.

Et brusquement, avant qu'Arthur ait pu répondre quoi que ce soit, il fit nuit.

Un noir profond comme il n'en avait plus connu depuis des lustres, depuis qu'il habitait un château confortable, qu'un serviteur lui préparait une flambée agréable, qui luisait d'éclats rouges et orangés même aux heures les plus tardives.

À bien y réfléchir, même quand il était gosse, il était rare qu'une nuit n'offre ni lune, ni étoiles, pas la moindre torche, le moindre feu joyeux. Mais dans cette salle étrange, dans le sous-sol de Camelot, les ténèbres s'invitaient de manière inédite.

Un instant, il suffoqua.

Le suivant, il s'interrogea sur la présence de cette pièce miraculeuse, au sein même de son domaine. Il s'était surpris des tunnels, du passage secret, mais la porte d'argent donnait au mystère une toute autre dimension. Le fait qu'un roi puisse ne rien savoir des secrets tapis dans son propre château lui paraissait inadmissible. Il faudrait qu'il en parle à Merlin, à Kay, dès la première heure du jour.

Il réalisa qu'il n'avait aucune idée d'où il serait à l'aube. Toujours enfermé dans cette petite pièce noire ? Loin de la cité ? Caché dans la masure d'un paysan, le domaine d'un chevalier ? Il s'était laissé mener si facilement, à la réflexion...

La faute au poison, qui l'avait privé de ses sens.

Mais la jeune femme – Viviane, cela devait être Viviane – savait pour le poisson. C'était un signe, auquel il devait se raccrocher. Merlin n'aurait raconté l'épisode qu'à une personne digne de confiance.

Il frissonna sur sa chaise, sous sa cape, cherchant une lueur des yeux.

Il n'y avait rien, juste le noir. Une cage close sous la terre.

Impossible.

Depuis sa chambre, il n'y avait eu qu'une dizaine de marches avant d'atteindre le tunnel. Or celle-ci se trouvait au troisième étage du château. Impossible qu'un escalier aussi court mène au sous-sol. Soit il se trouvait dans les murs et les planchers, ce qui semblait peu probable, soit la magie l'avait transporté ailleurs, comme quand Merlin avait ouvert le passage pour le ramener de la campagne au château.

Voilà, c'était l'explication. Nul chemin dérobé à Camelot. Juste... des sentiers mystérieux dans des lieux qui l'étaient tout autant.

Il tempéra sa respiration. Malgré tout le respect qu'il avait pour Merlin, il n'avait jamais aimé la magie, car elle échappait à son emprise. Qu'un souverain de sa trempe soit impuissant face à une puissance sauvage et imprévisible de cette magnitude lui laissait un goût amer dans la bouche. Le monde, bien sûr, était plus vaste que sa personne, mais il serait celui par qui l'ordre et la lumière de Dieu s'imposeraient aux forces obscures des temps anciens.

Quelque chose comme ça.

Il avait envie de dormir, la langueur le reprenait. Les effets de la mixture maudite qu'il avait ingurgitée se dissipaient, réveillant la douleur dans son flanc blessé. On avait dû la mettre dans le faisan, fatalement, à son insu. Était-ce ce qui expliquait la terreur de Girflet, son désir de s'esquiver au plus vite ? La fin du repas lui apparaissait dans la brume d'un souvenir imprécis. Il avait eu la force de se lever, de se changer, puis... sans doute s'était-il endormi.

Il bailla entre ses paumes ouvertes, se frotta les yeux.

Dix minutes, avait dit l'étrangère.

Minutes. Il savait, intuitivement, ce dont il s'agissait, mais il aurait été bien en peine d'expliquer d'où et ce qu'il signifiait, au juste. Mais il était chevalier, et non érudit. Parmi tout ce que lui avait enseigné Merlin, il avait bien fallu trier.

C'était long, en tout cas, et pénible. Il se massa les côtes du bout des doigts, mauvaise idée qui lui arracha un couinement ridicule.

Tu es douillet, Arthur, quel scandale.

Il se tapota les joues, s'étira, luttant de son mieux contre la fatigue. De la botte, il sonda le sol autour de lui, à la recherche d'un tapis généreux sur lequel il pourrait s'allonger. Mais la pierre semblait lisse, sûrement froide, et il ne trouva que le pied d'un autre meuble qui grinça affreusement lorsqu'il le bouscula.

Soupir.

Le roi Arthur, contenu par un cocon d'obscurité, sur un trône inconfortable, au milieu de nulle part. Il se demanda quel récit on tirerait de cette mésaventure.

Un cliquetis l'arracha à ses ruminations, puis la porte d'argent se rouvrit. Il reconnut la silhouette de la jeune femme, pas celle de l'homme qui la suivait. Arthur le vit tanguer sur ses jambes et, par réflexe, il se leva pour lui porter secours. L'inconnu s'affala à moitié dans ses bras, et le souverain fut un instant déséquilibré par son poids, puis parvint à se stabiliser.

— Merci de votre aide, souffla le nouveau venu.

Arthur reconnut sa voix, son accent chantant : il s'agissait du dénommé Hector.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now