Chapitre 108 / Game over

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— Comment voudrais-tu que cela me nuise. On ne poursuit pas un mort.

— Sauf s'il compte revenir parmi les vivants.

— Je ne ferai rien de tel.

— Vraiment ? Tu viens pourtant de te mêler de...

— C'était le plan depuis le début. Tu le sais. Maintenant, je peux reposer en paix.

— Et recommencer ta vie avec une jeunesse.

— Personne n'est parfait.

— Je le sais, Alexander. Repose en paix. Tu l'as bien mérité. Tes fils sont sur la bonne voie.

— Merci, mon ami. Merci pour tout.

— Nous sommes quittes, maintenant. Une vie pour une vie. Adieu, vieil ours.

— Adieu, mon ami. Adieu.

Alexander raccrocha et contempla les deux clichés qu'il venait de recevoir. Il regrettait de n'avoir pas été là. Il aurait aimé voir de ses propres yeux l'accomplissement de sa vengeance. Il avait tellement lutté contre ce vieil ennemi qu'il considérait son geste comme une dernière passe teintée de mansuétude. Après tous, il lui épargnerait le déshonneur et la honte, car il ne faisait aucun doute qu'aucun de enfants Ryker n'aurait abandonné la lutte. Ils n'avaient pas été élevé de cette manière. Aucun d'entre eux. Pas même Cyrus.

Peu importait, le dernier acte de la tragédie, débutée il y a longtemps par Deimos, venait de s'achever. Le rideau était tombé. Bien que personne ne sache qu'il était le grand démiurge, le Deus ex machina cher à certains grands auteurs d'opéra, il savoura son triomphe.

Alexander avait passionnément aimé sa femme, Althéa. Pour elle, il avait accepté de faire bien des compromis, il avait ravalé tant de fois sa colère, il avait accepté d'être servile. Mais ces dernières années, il avait compris son erreur. Il avait cru pouvoir accompagner sa jeune femme sur le chemin qu'il entendait suivre avec ses enfants, mais c'était sans compter sur l'orgueil des Yannopoulos, sur cette capacité à prendre sans discernement, ni morale d'aucune sorte.

Althéa au fil des années, bien qu'elle se défendît d'être comme son père, montrait de plus en plus souvent les signes évidents de sa filiation. Alexander avait compris son échec quand elle avait commencé à émettre des doutes sur ses propres enfants, sur leur capacité à reprendre le flambeau, sur le « bâtard » dont elle n'accepterait jamais totalement la présence... Chaque jour un peu plus, Alexander avait vu le triomphe de Deimos sur son mariage. Et son amour s'était éteint peu à peu, étouffé.

Alors, même s'il lui avait fallu un long moment avant de comprendre et d'accepter que seule sa disparition pourrait lui permettre d'agir contre son vieil ennemi, il était satisfait de ce que l'avenir lui réserverait après ce dernier acte. Il regrettait l'Althéa qu'il avait rencontré dans les allées de la bibliothèque, lorsqu'il n'était encore qu'un jeune étudiant. Pas celle qui avait partagé sa vie ces dernières années.

Alexander fixa les photos une dernière fois.

— Tu m'avais déjà pris ma femme... Je t'avais prévenu que si tu touchais à mes enfants, tu le regretterais... Tu aurais dû me croire, vieux fou, murmura-t-il en fixant le visage figé dans la mort, de son beau-père.

Alexander effaça les deux photos l'une après l'autre, ainsi que le message, puis il retira la carte du téléphone, la batterie, et écrasa l'appareil d'un coup de talon, laissant le cadavre électronique au sol, alors qu'il buvait une gorgée de son vin en fixant la baie de Singapour depuis la fenêtre de son appartement.

Il respira profondément, heureux que tout soit fini. Il avait eu peur de ne pas arriver à mettre ses plans à exécutions avant qu'il n'arrive quelque chose de grave. Ils avaient frôlé la catastrophe avec la jeune femme dont son second fils s'était entiché.

Il posa son verre et attrapa son autre téléphone. Il afficha la photo qui lui avait été envoyée quelques jours auparavant. Tout finissait selon ses plans, et même mieux, puisque deux autres de ses fils avaient trouvé des femmes à leur mesure. Il zooma sur le visage de Lupita. Il sourit. Elle paraissait encore plus jeune qu'elle n'était. Pourtant, il ne doutait pas de sa capacité à garder Darius auprès d'elle. Il ne doutait pas non plus que ce dernier l'aimerait et la protégerait autant qu'elle le lui permettrait.

Il passa au visage de Aïko tourné vers celui de Jung, couvé par le regard d'Iseul. Là encore, il savait que, même si le chemin ne serait sans doute pas évident, ces deux-là étaient sous bonne garde, et sauraient s'accommoder des embûches.

Quoiqu'il en soit, il avait fait sa part. Il voulait s'assurer que ses enfants seraient en sécurité au moins au sein de leur propre famille. Il ne faisait aucun doute que chacun d'entre eux se feraient des ennemis au fil des années, mais aucun de ces ennemis ne partagerait le même sang qu'eux. Plus aucun.

Un bras vint enlacer sa taille. Il fit disparaître la photo et rangea son téléphone.

— En quel honneur, ce téléphone gît-il mort au milieu du salon ?

— Il m'a énervé une fois de trop. C'était lui ou moi.

— Bien, alors, il est à sa place. As-tu fini ?

— Oui. C'est fini.

— Yesss ! À nous, les vacances, alors ! s'exclama la jeune femme qui venait de se mettre devant lui.

Miyana était radieuse. Éclatante de jeunesse et de vitalité, elle étira son corps pour enrouler ses bras derrière sa nuque. Ses longs cheveux répandaient leur harmonieux dégradé jusqu'aux pointes, passant d'un noir profond à un blond presque blanc. Sa bouche en cœur savamment maquillée, lui donnait envie de l'embrasser. Ses yeux en amande laissaient entrevoir la malice et l'espièglerie de ses pupilles dorées. Elle n'avait même pas encore trente ans. Et elle était toute à lui. Alexander l'enlaça.

— Tu as tellement envie de crapahuter dans la forêt avec moi qui vais râler sans arrêt !

— Oui, M. Prizrak ! Je veux te voir souffrir avec un sac à dos...

— Attends toi à avoir des surprises, alors... murmura-t-il en l'embrassant juste sous l'oreille, ce qui la fit frémir. Je suis encore vigoureux pour mon âge.

— Comme si je ne le savais pas, murmura-t-elle à son tout en se collant à lui.

Alexander songea qu'il pouvait, en effet, reposer en paix désormais.

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