Chapitre 105 / Une évidence

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— Tu n'imagines pas qu'ils vont manger avec nous quand même ?

— Pourquoi non ?

— Ce que tu es naïf quand même... ils auront bien d'autres choses à faire, crois-moi ! Si ces deux-là ne finissent pas par coucher ensemble, ils vont s'entre-tuer.

— Halmeoni !

— Quoi, Halmeoni ! Je suis assez vieille pour me permettre de dire les choses telles qu'elles sont. Allons rejoindre Aïko et Emmanuelle. J'imagine qu'elles doivent trépigner d'impatience.

— J'ai eu du mal à obtenir des deux qu'elles restent à l'hôtel pour attendre.

— Tu as eu raison. Ces deux-là, lâchées dans Cape Town, c'était une catastrophe assurée.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

— Mon petit, ça veut dire que, si tu n'y prends pas garde, ta « ténébreuse » pourrait bien se trouver un autre prince noir, sans jeu de mot. Quant à son amie, elle ne se rend pas compte de l'effet qu'elle produit autour d'elle. Les deux ensembles, c'est l'assurance d'un incident diplomatique de grande envergure, finit Iseul avec un large sourire.

Jung éclata de rire en montant dans le taxi à la suite de sa grand-mère.

***

Lupita était si furieuse qu'il lui fallut plusieurs minutes pour se rendre compte qu'elle était perdue. Elle se trouvait dans une longue avenue quasi déserte bordée de sièges d'entreprises, dont les entrées silencieuses et obscures témoignaient de l'heure tardive. Elle se morigéna en cherchant son téléphone. Elle devait appeler Jung et rentrer à l'hôtel.

Le bruit d'une course rapide la fit se retourner, téléphone en main et air inquiet sur le visage. Elle était seule dans une ville inconnue à l'autre bout du monde. Une proie facile.

Elle ne reconnut pas Darius immédiatement. Son cœur eut le temps de s'affoler quelques secondes avant de reprendre un rythme normal. Ce qui, à bien y réfléchir, étonna la jeune femme. Elle était en colère contre Ryker. Son cœur pouvait bien battre comme un tambour de guerre. Ça aurait été bien plus approprié que cette sérénité qui l'envahissait à la vue de cet homme qui lui courait après.

Il s'arrêta enfin face à elle et reprit son souffle avant de lui lancer :

— Est-ce que tu es folle ? Tu sais où tu vas au moins ?

Lupita ne répondit rien, mais se détourna et reprit sa marche en silence.

— Attends, dit-il en la retenant par le bras.

Le tumulte dans l'esprit de Darius ne cessait de l'assaillir encore et encore. Il luttait contre lui-même. Il luttait non pas pour comprendre, parce que ça, c'était déjà fait. Lupita avait raison. Il avait pris le prétexte de se venger pour s'éloigner d'elle. Il s'était convaincu qu'il la mettait en danger en restant près d'elle. Il s'était convaincu qu'il devait éliminer Deimos de l'équation pour la récupérer, sachant très bien qu'une fois l'acte horrible commis, elle se détournerait de lui. Parce qu'il avait eu peur. Parce qu'il avait eu mal aussi. La croire morte l'avait détruit. C'est pourquoi, à présent, il luttait pour accepter. Il luttait pour céder à ses sentiments. Pas comme à Central Park où il s'était laissé porter, poussé par les paroles de son frère, et l'ambiance générale. Cette fois, il devait passer outre sa peur de la perdre et la souffrance que cela lui causerait si cela arrivait.

Lupita voyait le combat intérieur qu'il se livrait à lui-même. Ses yeux vagues et confus, son air inquiet et en colère. Ses hésitations. Son silence même. Malgré les paroles blessantes qu'elle lui avait assénées, elle savait comme ce devait être difficile pour lui. Il l'avait vu mourir. Dans le cas inverse, elle se serait effondrée aussi. Peut-être aurait-elle été pire que lui ? Quoi qu'il en soit, en cet instant, elle comprenait qu'il fallait le laisser venir à son rythme, vers elle. Elle avait fait sa part. Le reste dépendait de lui.

— Excuse-moi, finit-il par dire.

— Pour quoi veux-tu que je t'excuse, Darius ? demanda-t-elle d'une voix qu'elle voulait neutre.

— Ma fuite, ma colère... tout. Je m'excuse.

Il la fixait en la tenant par les bras. Elle sentait la crispation de ses mains et un léger tremblement. C'était son tour à elle, maintenant. Il avait peur. Elle pouvait abréger ses souffrances ou faire de sa vie une longue descente aux enfers.

— Excuse acceptées, finit-elle par dire en se mettant sur la pointe des pieds pour atteindre sa bouche où elle déposa un baiser léger.

Il n'en fallut pas plus pour déchaîner toute la violence des sentiments de Darius. Il l'enlaça aussi fort qu'un noyé étreint la bouée qui lui est lancée dans un océan furieux. En cet instant, elle était son ancre. Elle l'arrimait à des sentiments qu'il pensait avoir chassés pour toujours.

— Arrête ! Idiot ! Tu vas me casser les cotes ! s'écria-t-elle en riant.

— Dis-moi que tu ne me quitteras plus, murmura-t-il en lui laissant un peu plus d'espace.

— Je te signale que c'est toi qui m'as quitté !

— Alors dis-moi que tu ne me laisseras plus jamais faire une telle connerie !

— Est-ce que ça veut dire que si tu me quittes parce que tu ne m'aimes plus, je suis autorisée à te pourrir la vie en te harcelant jusqu'à la mort ? demanda-t-elle avec un petit sourire ironique, en se collant à lui.

— Ne plus t'aimer ? Comment peux-tu envisager la fin d'une histoire qui ne fait que commencer ?

— Je suis pragmatique.

— Tu es une idiote et je t'aime, lui murmura-t-il à l'oreille avant de l'embrasser.

— Idiote, je dois l'être, c'est sûr, pour m'enticher d'un type aussi compliqué que toi. Quand je pense que j'aurais pu tomber sous le charme d'un gentil informaticien... comme Klaus, tiens !

— Pas les bonnes mensurations. Pas le bon look, lâcha-t-il en riant sous cape tout en la resserrant contre lui.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ? demanda-t-elle avec un ton faussement indigné en le fixant.

— Mlle Mercier est potelée, rousse et ne porte que des robes pastel...

— Tu veux dire qu'il aurait été insensible à mes magnifique baggy et mes sweat informes ? Je ne comprends pas... ça te plaît à toi...

— Oui et non. Ça me plaît parce que je sais ce que cache tes fringues informes. Mais je te préfère en robe... ou en uniforme de cheerleader...

— Je vois, dit-elle en tentant de s'écarter.

— Pas de ça maintenant, Mlle Jones ! Je ne compte plus me battre ce soir. J'ai envie de bien autre chose, et pas question d'atermoyer plus longtemps.

Et sur ces paroles, il attrapa son smartphone d'une main pour appeler un taxi, tout en serrant Lupita contre lui de l'autre bras. La jeune femme souriait. Elle avait gagné la partie. Darius ne tuerait personne. Ni ce soir, ni un autre jour. Ils trouveraient ensemble un autre moyen de mettre Deimos Yannopoulos hors-jeu.


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