Chapitre 1 : un DS peu glorieux

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Je vais me tirer une balle

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Onze heures et cinquante-sept minutes. Plus Meyssa regardait l'heure, son téléphone astucieusement caché par sa trousse, plus les minutes semblaient se rallonger ; son ventre serré par la faim n'arrangeait pas les choses.
Monsieur R. ne semblait pas vouloir s'arrêter de parler, déblatérant des notions littéraires sans se soucier du fait que les adolescents qui lui servent de public ressemble plus à des larves vaguement humaines qu'à des élèves de terminale.

11h58

11h58

12h00

12h01

Marquant une énième notion au tableau avec l'énergie d'un jeune Olympien, le professeur passionné continuait sa litanie, vraisemblablement ignorant de la fin imminente de son cours ; Meyssa était plutôt affamé d'un sandwich à la dinde que de connaissances

12h02

12h03

12h04

12h05

Toujours à l'heure, la sonnerie de l'établissement, une mélodie passablement bizarre mais devenue habituelle après déjà 2 années de scolarité entre ces murs : les élèves commençaient déjà à ranger leurs affaires, un brouhaha général s'installant dans la salle jusqu'à ce que la voix de Monsieur R retentisse.

Attendez ! les soupirs des étudiants montaient déjà. Je vous rends vos copies du DS de la semaine dernière.

Meyssa frissonna : ce devoir surveillé, elle le savait à l'instant même où elle avait rendu sa copie, elle ne l'avait pas réussi, loin de là. Personne ne l'avait réussi apparemment, se dit-elle en voyant le professeur enchaîner les commentaires acerbes, seuls les élèves les plus forts s'en trouvant épargnés.

Son tour venait à grands pas, l'adulte s'approchait déjà de sa table ; il posa sa copie sur la table sans aucune délicatesse, sa main légèrement potelée écartée sur la copie, un regard sévère.

Meyssa, 7 sur 20. Les leçons sont à revoir. Plein de mépris, il libéra enfin la copie dans son emprise pour s'éloigner, le visage crispé par l'incompétence manifeste de ses élèves.

L'adolescente se saisit de celle-ci, et regarda d'un air las sa copie ponctuée de Non !, de mots entourés et de traits acérés sous des termes supposément mal employés, tout au stylo rouge colérique, le trait visiblement appuyé par l'agacement dans l'enseignant.

Meyssa rangea d'un geste la feuille double dans son sac noir et entreprit de suivre le flot d'élèves qui fuyait déjà vers la sortie. Alors même qu'elle passait l'encadrement de la porte, une voix la stoppa net.

Meyssa. Vous êtes pressée ? Monsieur R, appuyé sur son bureau, la jaugeait du regard, les bras croisés.

Euh... Très franchement, son bus pourrait bien attendre un peu si nécessaire, mais la perspective de se faire remonter les bretelles sur son devoir plus que passable ne l'enchantait guère. Oui, mon bus est dans deux minutes.

Pur mensonge, son bus était dans dix minutes, sûrement bien assez pour la petite discussion que ce cher R voulait avoir avec elle, mais mensonge crédible.

Un soupir s'échappa des lèvres de l'homme, alors qu'il se levait déjà pour rassembler quelques papiers éparpillés sur son bureau. Très bien, ne perdez pas de temps alors. Je vous parlerais jeudi.

Sans hésitation, l'adolescente s'éloigna au pas de cours, la légèreté d'avoir échapper à des remontrances se sentant presque dans ses mouvements, et se dirigea vers la sortie, où un flot d'élèves comme recraché du hall d'entrée descendait déjà les escaliers visibles depuis les portes automatiques vitrées de l'entrée.

Embrassant l'air chaud de fin septembre dès lors qu'elle mit un pas au dehors, sa légèreté la quitta en vitesse alors qu'elle se rappela que son répit n'était que de mise. S'accrocher au mince espoir que Monsieur R oublie entre temps l'altercation qu'il avait prévu semblait ridicule ; en terminale, on ne connaît que trop bien l'ardeur de ces profs de spécialité qui se sentent invertis d'une mission, voyant le moindre élève ayant des résultats moyens comme un adolescent en détresse à sauver des griffes cruelles de l'indigent jugement de Parcoursup.

Passant la sortie, Meyssa s'attarda quelque peu devant la grille de Gaulevas : l'établissement, trônant fièrement en plein centre-ville -pour le plus grand plaisir du Monoprix tout proche, qui voyait défiler des lycéens tout les jours entre ses portes-, était considéré comme élitiste, et à ce titre l'administration s'entendait bien garder son taux d'obtention du bac quasi-parfait, d'où l'insistance supplémentaire des professeurs dès qu'ils remarquaient un étudiant aux résultats vacillants. Du moins, c'est ce qui se disait ; peut-être certains enseignants choisissaient-ils de leur pur plein gré d'être sur le dos de leurs élèves, pour le simple plaisir d'apporter un peu plus de pression à ces derniers.

La haine des profs de Cami commence à déteindre sur moi, se dit la lycéenne alors qu'elle se dirigeait vers son arrêt de bus. Pour éviter de proférer en pensée quelconque argument de mauvaise foi sur le métier de professeur, elle chassa la thématique de son esprit et accéléra le pas.

Cependant sa rêverie reprit quand elle prit place dans le bus : écouteurs dans les oreilles, elle espère intérieurement que son professeur de littérature ne devienne pas aussi pressant sur ses résultats que l'était Monsieur C l'année dernière, ce dernier la questionnant même au détour des couloirs avec une instistance presque proche du harcèlement.
Là encore, Meyssa coupa net ses ruminations, optant pour se concentrer sur un roman format digital qu'elle avait commencé il y a quelques jours sur son téléphone, son espérance comme une prière abandonnée pour que son professeur actuel de littérature ne se révèle pas aussi agaçant que celui de l'année dernière.

Ce qu'elle ne savait pas encore, c'est qu'il allait devenir bien plus que ça.

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⏰ Last updated: Nov 29, 2023 ⏰

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Un peu de littérature et beaucoup d'humanitéWhere stories live. Discover now