Untitled part

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Nonchalant, il entame timidement ses journées avec la peur au ventre. Le soleil du Sahel rechigne à ouvrir les yeux face à la folie humaine dont il est témoin, perché là-haut au-dessus des nuages. Sur sa course matinale, il observe les machinations, les touche du doigt et envoie ses tentacules pour écouter sous le feuillage touffu des arbres.

Certes, il n'est pas aussi vieux que le monde, mais son visage pâle et son pas lourd témoigne d'un vécu, d'une histoire, d'une usure au fil du temps. Il a connu des jours meilleurs, gambadant dans les prairies perdues pour aller se mettre à l'ombre des clairières et savourer le vent frais de la nuit.

Il dresse le lit des fleuves, et guide les pas du berger. Quand il finit de se rincer le visage, il fait suinter la petite goutte de rosée dégoulinant le long d'une feuille d'arbre.

Depuis quelques temps, ses rayons font reluire les bottes d'un invité non désiré, qui du bout de son arme suce l'âme du Sahel. Le nouvel hôte est enturbanné pour fuir le regard du soleil. Il serait d'ici ou viendrait d'ailleurs, là-bas, pas très loin. Il se cache sous les arbres pour éviter les yeux dans le ciel et leur foudre meurtrière. Il frappe dans le vent et se replie à la lumière de l'éclair, invisible mais surtout lâche.

Il serait investi d'une mission divine, engagé dans une guerre fondée sur des idéologies religieuses. Il est la main salvatrice qui assure l'au-delà aux âmes pécheresses. Sur sa route, il tue femmes et enfants, il vole, pille, viole, et foule du pied tous les enseignements de la religion qu'il dit défendre. Rien de très grave, c'est pour le salut de l'âme du Sahel.

Le Soleil impuissant, profite des cordes de la pluie pour déverser ses larmes sur le sol ensanglanté du Sahel. En survolant les toits de chaumes d'un village abandonné, il repense aux rythmes endiablés qui égayaient ses journées dans ces contrées. Il revoit ces petits enfants qui courent en ricanant pendant que leurs parents s'affairent dans les champs, ou derrière la fumée aromatisée des cuisines.

Le contraste est frappant, il revoit le même village avec les enfants qui courent à se tordre la cheville pour échapper aux pluies de balles, pendant que les corps de leurs parents jonchent le sol derrière la poussière sombre de la mort.

Le cœur attristé, il poursuit sa traversée vers l'horizon et surprend sur son chemin, un groupe d'hommes, de femmes, d'enfants, des compagnons de misère qui portent sur leurs têtes, habits, ustensiles, et autres matériels ramassés à la va-vite, pour sauver leur peau.

Jadis, ces braves hommes et femmes, au-delà de savourer leur liberté, jouissaient d'autres prestiges, du bonheur d'être un parent au privilège d'être roi, prince, chef de village, imam. Aujourd'hui, toutes ses distinctions honorifiques seront remplacées par ces mots qui inspirent la pitié et reflètent le désespoir.

Ils ne seront désormais plus que des migrants, des déplacés, des réfugiés, des personnes sans visage, des chiffres dans les médias et les rapports d'organisations humanitaires. Ils seront entassés dans des camps, et nourris par la main du généreux donateur. Ils arpenteront les rues des grandes villes, pour tendre une main désemparée aux automobilistes arrêtés au niveau des feux de route. Ils seront jugés, méprisés, et même blâmés d'être si misérables, d'être des gueux. On tournera la tête pour éviter leur regard et on tournera le talon pour éviter leurs mains tendues.

Le Soleil impuissant se fronce les sourcils et pousse un soupir de résignation. Il se bouche les oreilles pour ne plus entendre les cris de cette femme qui se débat entre les mains de ses bourreaux. Il détourne le regard pour refuser d'être témoin de ces enrôlements forcés, de ces exécutions au grand jour, de ces massacres à grande échelle.

Pour ces pauvres bergers, pauvres cultivateurs, le pire s'est d'être tiraillé entre la peur et le déshonneur. Le pire s'est de se retrouver entre deux feux, ou leur langue, leur faciès, leur appartenance ethnique, leurs croyances, les présentent déjà comme l'ennemi à abattre. En plus de devoir justifier leur innocence, ils sont traités de collabos par l'autre camps qui, le canon à la tempe, pille leurs greniers, vole leur troupeau, et endoctrine leurs enfants quand il ne les traîne pas de force dans son entreprise macabre.

A bout de souffle, le Soleil du Sahel luit faiblement sur ces plaines arides que le berger chétif sillonne derrière un troupeau de bœufs dodus et repus. Le berger valse entre les cours d'eau et les vertes pâturage tel un parent qui fait des mains et des pieds pour nourrir sa famille. Hélas, sa route est désormais minée et son avenir incertain. Il dormira à la belle étoile d'un sommeil léger, troublé par les ronflements des colonnes de motos ou le détonnement au loin des artilleries lourdes.

Avant d'aller se coucher, le soleil du Sahel formule ses prières de paix retrouvée. Il souhaite le calme paisible de la nuit et un bon sommeil au berger. Car une nuit macabre annonce une journée endeuillée. Quand le mal s'installe, l'état de droit disparaît pour laisser place à un cercle vicieux qui mettra au péril le peuple du Sahel sur plusieurs générations.

Les yeux fermés, le Soleil du Sahel dors d'un sommeil léger, troublé par les ronflements des colonnes de motos ou le détonnement au loin des artilleries lourdes. Demain fera jour...

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⏰ Last updated: Oct 05, 2023 ⏰

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Le Soleil du SahelWhere stories live. Discover now