Chapitre XXXIV - Petite mort pour un garçon-fillette

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Il s'affaissa à même le sol, sur les pavés de la terrasse. Sous lui, ses jambes flageolaient. Liam s'accroupit devant lui et, avant que le garçon aux cheveux verts eût pu chercher combien de secondes s'étaient écoulées depuis qu'il avait éteint son téléphone, il le lui prit des mains.

« Oublie l'heure, Vic'. Pense à autre chose, ce soir.

— Rends-moi ça, dit-il d'une voix abrupte, avec un geste pour le récupérer.

— Je l'éteints. Il sera dans l'entrée si tu as besoin. »

Il disparut dans l'entrebâillement de la porte. Victor ne bougea pas. Les fesses contre les dalles froides, il consuma deux autres cigarettes avant de se résoudre à retourner dans le salon. Des gouttes de sang perlaient au bout de ses doigts, pourtant ses dents arrachaient un autre ongle. Il cherchait une horloge du regard, les pupilles dilatées et le souffle court.

Il alluma la télévision, étouffé par le silence et l'absence de son ami — qui avait disparu il ne savait où. Octave se frotta à ses jambes en miaulant. Il s'écroula sur le sol, brusquement vidé de ses forces. La voix du présentateur météo sonnait creux. Demain, le département sera ensoleillé. Oui, mais que faisait-on si demain, on ne voulait pas le voir ? Victor n'avait pas envie d'admirer le soleil. Il voulait rester dans son noir quotidien, le seul qu'il connaissait, où la lueur de Cassandre suffisait pour subsister. Des températures exceptionnelles pour ce mois de mai. Victor ne percevait que le flot de sang contre ses tempes. Il s'appuya contre le canapé, les yeux rivés au plafond, le chat pelotonné sur l'estomac.

« Vic' ? »

Liam s'agenouilla près de l'homme sur le tapis.

« J'avais un cadeau pour ta sœur. Tu as dit qu'elle s'appelait comment, déjà ?

— Cassandre », dit-il en le contemplant d'un regard terne.

Il ne parvenait pas à faire semblant, ce soir. Feindre la joie et la détente. Paraître mieux qu'il était. De l'impassibilité usuelle, transparaissait la douleur du fardeau qu'il traînait avec lui depuis l'enfance. Tout en lui avait cessé de vivre. Mais avait-il jamais vécu ? La petite marionnette qu'il s'efforçait d'activer chaque jour renonçait à tirer sur ses fils. Il ne réussit pas à sourire quand Liam lui tendit un paquet enveloppé à la va-vite dans du papier étoilé. Il le prit, ne l'ouvrit pas. Éteint. Pas suffisamment mort.

Les lèvres habillées de leur inimitable sourire, Liam saisit les mains aux ongles abîmés et les guida pour dénouer le ruban. À nouveau, Victor ne tenta pas de simuler une réaction. Ses commissures refusaient de se relever. Son sourire meurtri pleurait. Il contempla la peluche grise en forme d'éléphant sans rien manifester. Un frêle merci actionna ses cordes vocales, et il se replongea dans le mutisme.

« Tu veux manger ? » dit Liam en essayant de capturer son attention.

Mais il fuyait. Ses yeux, au-delà des verres, se détournaient. La marionnette désarticulée n'exprimait rien. Juste le vide qui dévorait ses entrailles. Vide imposé. Car pour survivre, il ne devait plus éprouver.

« Vic', tu m'écoutes ?

— On peut coucher ensemble ? »

Il posa ses lunettes sur la table, près de la peluche. Il rabattit les quelques cheveux qui tombaient sur son front et se jouaient de ses joues. Son visage demeurait d'une lividité absolue. Une marionnette ne ressent pas, et lui ne vivait que grâce aux fils qui, chaque matin, chaque soir, à chaque instant de ses interminables et répétitives journées, activaient sa carcasse épuisée d'exister. Il se laissait contrôler, fantoche résigné, par la main qui tirait sur ses ficelles.

Eden - Le Temps ne s'arrêtera pasWhere stories live. Discover now