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Loras

Décidant de laisser Jody dormir encore un peu, je descends de la voiture sans un bruit et regagne l'accueil sous le regard surpris de plusieurs étudiantes. Leurs murmures indistincts remontent jusqu'à moi tandis que j'avance un sourire stoïque aux lèvres. La chaleur du hall dans lequel j'entre contraste avec le froid mordant de la période automnale.

Miss Melville, la directrice du dortoir, me reçoit avec sa jovialité habituelle :

— Lord Pembleton ! Quelle surprise !

— Mrs. Melville, je la salue en lui baisant la main.

— Pouvez-vous prévenir ma nièce que je suis ici ?

— Bien sûr.

Elle me sourit et disparaît derrière son comptoir. En moins de cinq minutes, Juliet apparaît devant moi avec grâce et cérémonie.

— Oncle Loras. (Nous nous faisons la bise.) Cela faisait longtemps. Que fais-tu ici ?

— Longue histoire. (Elle m'interroge du regard.) Viens, je m'empresse d'ajouter lui offrant mon bras, allons discuter de cela autour d'une tasse de thé.

Nous regagnons le réfectoire plutôt vide à cette heure-ci. Nous prenons place à une petite table située dans un recoin tranquille.

La serveuse s'approche :

— Monsieur, Madame, que désirez-vous ?

— Nous prendrons deux tasses de thé, dont une avec une touche de lait et de sucre, ainsi qu'un assortiment de vos meilleurs gâteaux s'il vous plaît, répond Juliet.

— Tout de suite Mademoiselle.

Ma nièce détourne les yeux pour la regarder s'éloigner puis me fixe à nouveau :

— As-tu réfléchi à la proposition de papa et maman ?

— Si tu veux parler de l'idée d'un mariage arrangé entre moi et Catherine Mansfield, fille de Sir Hugh Mansfield, directeur de la seconde banque la plus importante de Grande-Bretagne après la Banque Centrale, ma réponse est toujours non.

La serveuse revient notre commande en mains. Nous la regardons disposer délicatement le tout devant nous avant de se retirer à nouveau. Cette dernière hors de portée d'écoute, nous reprenons notre discussion.

— Tu devrais prendre le temps de la rencontrer au moins.

— Juliet...

— Cela ferait vraiment plaisir à papa et ma...

Meine Liebe Juliet, je l'interromps prenant ses mains dans les miennes. (Elle se tait, son regard rivé au mien.) Ta mère est ma demi-sœur et mon aînée, née du premier mariage de notre père, et ton père est issu de la Maison des Wittelsbach qui règne encore à l'heure actuelle sur la Bavière. J'ai beaucoup d'amour et de respect pour eux, ce qui ne veut pas dire pour autant que je les laisserai prendre les décisions quant à ma vie sentimentale pour moi. Tu comprends ?

— Je suppose, oui. (La lueur de doute dans ses yeux fait immédiatement place à la suspicion.) Pourquoi es-tu là si ce n'est pour ça ? Ce n'est pas dans ton habitude de faire des visites de courtoisie.

Je ne peux réprimer un rire face à sa franchise.

— J'ai effectivement besoin que tu me rendes un petit service.

— C'est-à-dire ? demande-t-elle scrutatrice.

— Eh bien... (Je prends une gorgée de thé.) Je n'en ai encore parlé à personne, mais à la mort de Lord Pembleton Senior, ton arrière-grand-père, je n'ai pas seulement repris son titre, ses terres et ses affaires. J'ai aussi repris son poste en tant que Président d'un Comité qui gère l'administration de deux orphelinats et partiellement l'administration d'un Hospice pour enfants et adolescents.

L'ombre d'un sourire intrigué effleure ses lèvres.

— Et en quoi puis-je t'aider ?

— Il est prévu qu'une nouvelle élève issue de l'un de ces endroits face son entrée au pensionnat demain, je lui explique. Officieusement, son grand-père paternel et moi-même sommes convenus que je la parraine pour les trois années d'études à venir ainsi que son entrée dans le monde. Officiellement, pour le moment elle pense être sous la protection d'un bienfaiteur qui m'a chargé de veiller sur elle pour lui.

— Elle n'est pas au courant que c'est toi ?

— Pas pour le moment. (Elle hausse les sourcils.) Si je t'en parle, c'est parce que j'ai demandé à ce qu'elle soit installée dans la même chambre que Miss Tissier et toi, j'ajoute.

— Je vois. (Elle attrape sa tasse, telle une parfaite petite Dame anglaise en devenir.) Puis-je savoir comment s'appelle cette nouvelle recrue ?

J'inspire lentement afin de calmer les tremblements de ma main tandis que je repose ma tasse.

— Elle s'appelle Jody. Jody Beauchamp.

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Le Bienfaiteur (HISTOIRE SECONDAIRE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant