Chapitre II (1)

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Le système istaldéen est construit autour d'une hiérarchie très stricte et reposant sur les performances militaires de ses citoyens. L'élite forme un Classement que les non-Classés doivent servir et entretenir en échange de protection. Néanmoins, le remaniement du Classement est annuel, ce qui prévient la plupart des abus. En effet, toute montée en puissance peut s'effondrer en une soirée : celle du Festival des brumes. Le Bouclier règne en chef incontesté de la cité, tant pour les affaires civiles que militaires. Il s'agit habituellement du numéro un au Classement général, mais il y a déjà eu des exceptions...

L'âge d'or d'Istaldel, par la philosophe Xrynk


Autrefois, la route qui menait à Istaldel rassemblait constamment une couverture hétéroclite d'étudiants, de marchands et de voyageurs qui avait toujours fasciné la jeune Thalya. Dissimulée dans les hautes herbes, elle avait observé le va-et-vient des masses et des fragrances et avait fait des nombreuses langues éructées à tort et à travers son jeu préféré ; dans son cahier s'étaient entassées des pyramides de mots étranges et biscornus aux significations plus mystérieuses encore.

Maintenant, le chemin de terre que la fille foulait était désert, et les annotations de son carnet ne comportaient guère plus que des gribouillis militaires. La même poussière balayait encore le paysage, mais plus personne ne s'en plaignait : la vie avait quitté la légendaire ville avec le début de la guerre.

D'abord les archives d'Elesir avaient été rapatriées à la capitale, emmenant dans leur sillage les intellectuels, puis le commerce s'était tari avec une résurgence de la criminalité. Et enfin, l'extermination d'une génération entière d'Istaldéens au cours de la tristement renommée bataille des Roses avait donné le coup fatal à la cité, la laissant orpheline et dépeuplée.

Ce fut dans ces circonstances que Thalya Esteyal, ayant à peine atteint la maturité, se retrouva propulsée au sommet du Classement et championne de son Quart. Cadette géniale devenue en l'espace d'un soir, le temps d'une dépêche de la monarchie, l'une des aînées d'une ville mercenaire, la jeune fille n'avait eu de cesse ces dernières années de restaurer la gloire d'antan de ses parents.

Les sandales de Thalya claquaient contre la terre élastique. La tunique des brumes qu'elle portait, uniforme préférentiel des haut-Classés, bruissait contre les hautes herbes lorsqu'elle entreprit l'ascension d'une des quelques collines qui vallonnaient la plaine. La longue traîne grise ondulait à sa suite à l'instar des serpentins de brouillard qui envahissait lentement les cuvettes. Puis, arrivée au sommet, tel un ultime clin d'œil à la gloire passée, la ville se dévoila dans toute sa splendeur. Sous le feu des rayons du soleil, la pierre ocre des habitations et fortifications, extraite d'une proche carrière de calcaire maintenant désaffectée, se teintait d'un beige rosé et tamisé par la brume ambiante.

Les hauts remparts entouraient trois cercles de murailles intérieures, les Quarts, reliques de leur ancienne indépendance. Jadis, ils s'étaient mené une guerre sans fin pour le point d'eau en leur milieu et chacun avait ainsi érigé son propre système de défense. Puis Elesir-bénie-soit-elle les avait réunis en une entité unique avec un but commun : protéger le royaume d'An'kalara, nouvellement formé sur les cendres de la civilisation brutale et sanguinaire de l'ère Eparpillée. Une nouvelle fortification fut alors bâtie, englobant les trois villages et leur rancunière rivalité. Impressionnantes, elles ne tiendraient pourtant pas longtemps face aux perles des Altérés du Grand Conseil. Comme Atlédel n'avait pas tenu, quinze ans auparavant.

Un coup d'œil derrière son épaule rassura Thalya sur l'avancée de la cohorte. Pas un nez n'était encore sorti du couvert des arbres. Avec un peu de chance la mer de brouillard l'avalerait, mais celle-ci, bien que menaçante, n'atteindrait pas son pic de densité avant quelques heures. Enfin, elle arriva devant les lourdes portes en bois sombre qui donnaient sur le Quart I. Ses épaules se carrèrent lorsqu'elle les franchit ; il s'agissait de territoire rival. Son fief, le Quart II, reposait plus proche du précipice et de la forêt, du côté opposé de la ville. Moins orgueilleux, moins bruyant et définitivement plus sympathique que ce quartier marchand qu'elle préférait éviter.

Le Pouvoir Des Perles - Les Altérés d'IstaldelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant