Chapitre 1

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— Cours, cours, n'aie pas peur ! lui ordonna-t-il.

Ce furent les dernières paroles qu'il prononça avant d'être exécuté comme un chien.

Accablée par une peur primale qui s'était emparée d'elle, Aline puisait au plus profond d'elle pour échapper à son assaillant qui la poursuivait de façon implacable. Elle courait à en perdre haleine. Fuir loin, le plus loin possible. Les yeux noyés de larmes, elle avançait sans aucun repère. Soudain, son pied heurta un obstacle, la faisant trébucher violemment. Le choc fut si virulent qu'elle mit quelques secondes à reprendre ses esprits. Dans un ultime effort, elle tenta de se relever, mais il était trop tard, il était déjà au-dessus d'elle. Aline réalisa que son heure était arrivée, qu'elle allait mourir, seule, au milieu de cette étendue de sable à perte de vue.

*

Quatre mois plus tôt.

26 octobre 2009.

Adossée contre l'arcade de la fenêtre, Aline contemplait le ciel avec sérénité. Par son éclat céleste, la lune éclairait la nature en sommeil. La pollution sonore avait tiré sa révérence pour céder la place au chant mélodieux des grillons. Sous la voûte, les étoiles, artistes millénaires, dessinaient leurs mystérieuses constellations. Le regard rivé sur l'horizon, Aline se laissa envahir par ce calme rassurant. Son esprit se mit à s'imaginer loin de cette métropole stressante.

Elle était dans le désert. Face à elle, une étendue majestueuse. Le paysage était grandiose et impressionnant. Vêtue d'un habit bleu, Aline haletait sous l'air suffoquant au mépris d'une légère brise qui lui caressait le visage. Malgré ce climat hostile, au milieu de cette immensité, elle avait la sensation que tout lui était possible. 

Un hurlement canin l'extirpa de ce moment de plénitude, la faisant frissonner de manière irrationnelle. Depuis l'inventaire des affaires personnelles de sa grand-mère, son esprit était hanté par des interrogations qui ne cessaient de la déstabiliser.

Son aïeule possédait une grande malle dans laquelle étaient entreposés des bibelots anciens, des livres et d'autres breloques. C'était remplie d'émotion qu'Aline s'apprêtait à faire le tri de cette dernière. Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle découvrit un double fond ! Avec soin, elle avait soulevé la fine planche de bois vieillie par l'usure du temps, sous laquelle avait été dissimulée une grande enveloppe jaunie. Les mains tremblantes, elle s'était empressée de l'ouvrir avec la sensation étrange de profaner les souvenirs de sa mamie. À l'intérieur, une photo d'Aline et de sa mère, celle du mariage de ses grands-parents et deux autres éléments qui l'avaient laissée perplexe : une étrange lettre accompagnée d'un cliché de sept Touaregs.

Lors de ses visites à la maison de retraite, elle avait tenté d'en savoir un peu plus sur ces hommes, mais l'évolution de la maladie d'Alzheimer effaçait peu à peu les souvenirs de son aïeule, la murant dans le silence.

Face à son mutisme, sa curiosité s'était intensifiée.

Qui étaient ces nomades ? Quel était leur rapport avec sa mamie ? Et pourquoi cette missive, écrite dans une langue qui lui était complètement inconnue, la bouleversait-elle autant ?

La seule certitude d'Aline était que tous ces éléments avaient un lien direct avec la ville de Niamey, et ce en 1973, l'année de sa naissance.

Elle s'empara d'un cadre posé sur sa table de nuit. C'était une photo de sa mère. Elle avait été prise au zoo de Vincennes peu de temps avant son décès. Malgré son sourire radieux, Aline décelait dans ses grands yeux noisette une indéniable tristesse.

Pourquoi es-tu partie si vite ? J'ai tant de questions qui demeureront sans réponse.

Les yeux fermés, elle s'imagina son père, un père dont elle ignorait tout, jusqu'à son visage et son identité. Aucune trace de lui sur son acte de naissance, et cette absence d'information avait été pour elle une blessure marquée au fer rouge. Le seul renseignement qu'elle avait obtenu de sa grand-mère était que ses parents s'étaient aimés d'un amour passionné, mais que leur union était restée secrète au regard de tous. Doutant de la véracité de ces propos, Aline avait grandi avec une image paternelle dévoyée.

En pensant à celle qui l'avait élevée dès l'âge de quatre ans, une profonde tristesse s'empara d'elle. D'un revers de main, elle essuya ses larmes naissantes.

Ce n'est pas le moment de m'apitoyer sur mon sort. Non, vraiment pas le moment.

Elle avait passé bien trop de temps à peser le pour et le contre sur son éventuel départ pour Niamey. Trop de questions l'avaient empêchée de trouver le sommeil durant de nombreuses nuits.

Devait-elle rester dans cette ville qui l'asphyxiait, dans cet appartement surfait, dans ce travail qui l'anéantissait à petit feu ou devait-elle oser tout plaquer afin de partir vers cette contrée inconnue qui semblait avoir un rapport avec sa famille ? Tel était son dilemme.

À force de s'imaginer divers futurs, une évidence lui avait sauté aux yeux : elle devait prendre son destin en main et ce départ était inévitable !

Cela faisait bien trop longtemps qu'elle étouffait dans cette jungle urbaine où elle se sentait désespérément seule malgré la foule. Bien trop longtemps que ses faits et gestes étaient guidés par le dictat de cette société castratrice. Elle s'était rendu compte que sa réussite sociale l'avait engouffrée dans un rythme effréné et destructeur. Chaque jour, dans un stress permanent, elle gérait des portefeuilles d'actions dans le but d'atteindre l'objectif du mois. Son compte bancaire s'enrichissait, appauvrissant son âme devenue solitaire. Où étaient donc passées ses ambitions juvéniles ?

Peinée face aux déboires de son existence, elle serra le cadre contre elle, convaincue que sa destinée se trouvait là-bas, loin de la métropole.

Cependant, elle n'imaginait pas à quel point ce départ allait bouleverser sa vie.


L'appel de l'éveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant