Trame

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     Concours : Printemps de l'écriture 2022-2023 proposé par l'académie de Strasbourg et la DRAC Grand-Est, catégorie second degré, écriture créative.

     Résumé/ sujet : « Seules les traces font rêver. » René Char
    Imaginer un texte dans lequel des traces ont été laissées (de quelque nature que ce soit).


    Titubant, l'artiste s'appuya lourdement sur le mur d'en face. La porte était fermée. Elle glissa sur le sol, posa ses genoux à terre. Les yeux fermés. Une odeur d'encens embaumait la pièce, entêtante et rassurante.

    Un bruyant silence. Pesant, las d'être ignoré, il fait pression sur son crâne et l'enserre. Y étrique ses pensées éparses. Puis un métronome lointain s'ajoute à la charge. Il se rapproche, envahit l'espace. Tic Tac indiscret. Silence bavard. Pensées tonitruantes.
Des mains, les siennes, enserraient l'objet. C'était du tulle. Si elle tendait sa main gauche elle y trouverait de la soie.

    Le tapis sur lequel elle était assise se paraît d'une imposante trace rouge. Un carmin éclatant, signe d'une occupation antérieure. Du sang, de l'encre, de la peinture. L'horloge se trouvait-elle au plafond ?

    Elle se lève, fait quelques pas hésitants. Elle met le phonographe en route. Toujours la même musique, retenant le temps pour l'empêcher de filer. L'artiste se tourne, fait quelques pas vers la peinture, ouvre ses couleurs. Le couteau trace, les pensées s'en vont.
    Euphorie.
    Elle n'est plus que cela. Elle peint son âme, la déverse sur la toile jusqu'à ne plus penser. Ne reste que la musique, s'emparant de l'espace. Mais elle ne l'entend pas. Les couleurs sont criardes, agressives, la déchargent de ses peines. Le jaune est amer, le bleu acide et jaloux. Le magenta s'ajoute à la toile en un violet colérique. Les mélanges sont râpeux, changeant les couleurs si délicates en de grossières rancunes. La toile est laide, tachée par la médiocrité de l'existence.
    Une tache insipide.
    Une trace nécessaire.
    Une libération.
    Puis la musique se tait. Silence bruyant, horloge agaçante. De ce moment ne reste que des pigments et ses souvenirs. Ses mains sont tachées, vite essuyées sur son cou gracile et ses bras musclés. L'artiste ne peut-il pas être sa propre œuvre ? Mais ses doigts ne sont pas débarrassés de leurs couleurs. Et un sentiment grandit, le manque. Il est une preuve d'un vestige, ne peut être ressenti si l'on ne connaît pas l'objet de ce manque. La musique. Alors elle se dirige vers les instruments, effleure le mur, la timbale de la batterie, dessinant son passage. Et elle agrippe le violon, le parant de mille et une couleurs. Elle joue, accorde sa sonate au tempo de la petite aiguille. Puis elle monte crescendo, s'embrase et se laisse transporter par la mélodie. Le violon joue, imposant, emplissant la pièce de son timbre suave. Elle le lâche, s'empare de ses pointes de ballerine et danse au rythme des notes. Aucune parole ne vient accompagner l'instrument. Les chaussons glissent, le sol noir est visqueux. Il se pare de couleurs vives et joyeuses, dessinant la mélodie au rythme de ses pas. Arabesque, grand jeté, saut de chat. Sa technique est parfaite, elle l'a déjà exercée. Une pirouette, deux pirouettes. Elle tourne la tête, croise son reflet peinturluré, croit discerner la forêt de son enfance. Une odeur de terre lui revient en souvenirs, celle dont elle revenait barbouillée après ses promenades. Le miroir flageole, se penche, effleure la surface du lambris. Il se brise, la ramenant au présent.
     Le violon ne jouait plus. Elle leva la tête, toisant l'horloge au plafond.

     L'encens forme un tracé de fumée s'élevant paresseusement. Dans quelques instants il ne sera plus qu'une mince fragrance, plus tard encore il ne restera plus rien. Certaines traces sont éphémères, elles n'ont le pouvoir de perdurer que dans nos esprits.

     Lorsque le parfum de l'encens se sera dissipé la fille en distinguera un autre, plus subtil. De la terre, à quelques pas du miroir brisé. Elle se penchera pour s'en saisir, se blessera. Son sang coulera sur le miroir. C'est beau, elle voudra s'en rappeler. Elle s'armera d'un crayon, couchera sa vison sur le papier.
     Sa feuille est tachée de rouge.

     La soie était un beau tissus. Rattachée à de mauvaises pensées. Elle la frôle, l'agrippe, la serre et l'enroule autours de ses mains. Elle se redresse violemment, et frappe le mur de toutes ses forces. Il est blanc. Il ne le sera plus.


     Et la pluie tomba drue, chassant la tempête de son esprit.
     Court circuit, dernier souffle. Les lumières capitulent et sombrent dans le sommeil. Les gouttes déforment les traits de peinture et de sang, donnant un tout autre sens aux traces de ce lointain présent. Personne ne peut à présent affirmer avec certitude avoir saisit leur véritable message.
     La grotte est plongé dans le noir. Comment pourrait-on s'assurer dès lors que nous sommes privés de notre vue qu'il s'agit simplement d'une pièce ? Seul notre sens le plus essentiel a été apte à nous l'affirmer. Et la grotte se meut, grandit, amplifie l'écho de l'horloge. L'eau dévoile de nouveaux pigments, phosphorescents. Ces empreintes là sont irréelles, seul l'esprit les a créées. Si elles sont la production de l'imaginaire, d'un autre monde inventé de toute pièce, il n'est pas ici la preuve qu'elles n'influencent pas notre présent et notre avenir comme toute autre trace.
     Alice s'avance, déchiffre ces symboles. Soudain elle se retourne, fait virevolter son jupon bleu et interroge d'un ton clair.
     « Mais alors, si le monde n'a absolument aucun sens, qu'est-ce qui nous empêche d'en inventer un ? »


     À son réveil, le mur n'était plus blanc. Sa vie coulait de ses mains, s'échappant en un ruban vermeil. Il tachait le mur sur lequel elle s'appuyait, traçant son chemin comme Ariane et son fil. Cet écoulement la gênait, l'affaiblissait. Le lin ferait barrage à la voie de Thésée, elle l'enroula autour de sa plaie. Il en restera une cicatrice involontaire.
     Le miroir, lui, est intact.
     L'artiste s'assoit alors, s'empare d'une machine à écrire d'un autre temps. Elle pose des mots sur ses pensées, les décrit. Trace les traces. Sa plume est sans pareille, singulière et maladroite. Mais pourvue d'une grande sagesse. Ses mains enroulées de tissus la font souffrir, dérangent son activité. Sa pensée se précise dans l'exercice, devient tangible. Elle pose le point final à cette connaissance sans interrompre le cours des autres, tourne la tête, aperçoit quelques vestiges de son passé. Encore. Ce sont des sculptures, au bois, à l'argile, à la pierre. Des empreintes en volume. Le sol est parsemé d'origamis, traces du passé et de l'ailleurs. Pourtant, ces pliages sont des marques de l'artiste. Une chose peut-elle être d'ailleurs et à la fois de nous ?
     Le tic-tac enfla, incessant, obstruant ses pensées. D'une impulsion, un simple mouvement, elle s'empara du marteau des sculptures et cassa l'horloge. Une pluie de verre parsema le sol, ajoutant les paillettes à la couleur. Et le silence revint, après tant d'années de mutisme. Alors elle se mit à rêver de son passé, s'allongea à l'endroit même où des années plus tôt, elle se couchait pour rêver à son futur. Étrange boucle temporelle, notre esprit faisant le lien avec tout notre vécu, tel des vestiges, des traces que l'on remarquerait dans une pièce.
     Et dans votre présente lecture, se glissant entre chaque ligne. Pas une n'en est dépourvue.


     Mais déconcertant mot que trace. À la fois tout et rien, partout et toujours. Elles seront de plusieurs ordres, psychologiques ou tangibles, de l'une à l'autre ou aucune de celles-ci. Elles servaient à l'expression, comprendre et se souvenir. Éphémères, distordues par le temps ou l'esprit. Trompeuses aussi, quelques fois, et infimes par leurs apparitions comme pouvant bouleverser l'existence.
     Toute action en produit, elles sont les causes et les conséquences de chaque vie, chaque passage. Intentionnelles, accidentelles. Désinvoltes ou rigoureuses. Les traces sont telles une trame, s'entrelaçant. Le fond et la liaison de chaque histoire, passée, présente ou future.


     La femme retrouva la parole, brisa le silence tant recherché. Il était temps. Elle n'avait plus rien à faire ici. Elle se redressa, testa la poignée qui n'opposa aucune résistance.
     Elle ouvrit la porte et sortit.

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⏰ Last updated: Apr 27, 2023 ⏰

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