Plus tard, je la vois bien en reporter, avec micro et chemise à carreaux rose, cheveux attachées, légèrement maquillée prête à aller sur le terrain afin de faire l'état d'une situation sur place ou encore, dans des locaux en train de rédiger un quelconque article de politique sociale. Assia ferait une bonne journaliste dans le fond, comme dans la forme.


Dans l'bus, les conversations s'enchainent, on parle souvent de tout et de rien avec Mehdi et Iskander qui montent eux à l'arrêt d'après, à Docklang. Les cours, le bac qui arrive à grand pas, les embrouilles du lycée, les amours. En parlant d'embrouilles, il arrive qu'on parle trop fort et que des disputes éclatent avec d'autres passagers comme ce matin de nouveau. Une fois, on a failli se faire virer du bus par le chauffeur. Le premier à sauter est toujours Mehdi ce trou du cul. Chaque matin, il réplique et crie beaucoup plus que nous trois réunis.


– Je te dis que c'est impossible qu'ils puissent gagner la LdC* cette année, en tout cas pas avec cet effectif. L'attaquant à 34 ans, c'est abusé frère !


Iskander, cet autre trou du cul n'arrange en rien les choses par sa voix robuste et sa manière de répondre bruyamment dans l'bus.


– T'es con ou bien ? L'âge ça veut plus rien dire maintenant, les vrais footeux sont comme le bon vin maintenant, oublie pas la citation connue !


L'homme placé aux avant-dernières places du bus se retourne vers nous alors qu'Iskander est prêt à argumenter de nouveau.

– On est le matin les jeunes, moins de bruits quoi sérieux ! On est tous fatigués là !

– Mais chef, moi aussi je suis fatigué le matin. J'ai droit d'parler quand même. Si t'es pas content achète des écouteurs et m'rend pas fou. Répond Mehdi.


Iskander lui s'en beurre, il fait que de rire dès que Mehdi réplique au travers d'insultes ou de manière arrogante aux passagers alors qu'Assia et moi sommes en général très gênées. Heureusement qu'au lycée on s'affiche pas ensemble. Je traine qu'avec mes potes de la ville. Elles vivent une vie différente, elles.


Pas forcément de strass et paillette mais de ce que j'observe, c'est que leur environnement paraît plus sain, plus sécurisé et féérique que le mien. Elles vivent déconnectées de la réalité. Nous à Goé' c'est différent. Tu les vois les familles qui vivent à 8 dans un appartement de 60m2 mal agencé avec 3 chambres car la mairie n'a pas trouvé la possibilité de les loger dans un logement adéquat et aux mérites de leurs besoins. Je les envie ces filles, un peu. Je sais que je devrais pas, que c'est chacun son histoire et chacun sa vie mais je ne peux les regarder sans cette mauvaise graine qu'est le « Putain si j'avais vos vie bande de putes... » mais je l'ai pas leurs vie et ne l'aurai pas. Je le sais.


Je sais pas, il me faudrait quoi, 10 années avant d'être à leur place ? Chloé, cette pute vit à Sainte- Anne, un gros quartier de bobo. Elle m'fait la « friendly peace & love », « écolo life » alors que sa grosse daronne roule en Merco GLE, modèle d'usine et quasiment full option d'après les descriptions de Iskander.


Peu surprenant au vu des métiers. Maman est orthodontiste et papa maître de conférence dans une université parisienne j'crois, quelque chose du genre. Et c'est ça qui m'énerve, au lieu d'me jouer l'éveillée, humble ayant les pieds sur terre fais autre chose merde.

ghettoyouth - graine dans la villeWhere stories live. Discover now