Rêvolution 360°

Começar do início
                                    

Tout le reste de la journée, elle pousse la tondeuse avec l'impression de transporter vers le zénith l'œuf de tous les possibles, et elle ne voit pas le temps passer. Au retour en ville, quand la camionnette s'arrête devant le Coccimarket, Marie ignore comme d'habitude les lourdeurs maladroites de ses collègues et saute lestement du véhicule avant de s'enfoncer dans la grosse épicerie.

— Salut, Ahmed ! lance-t-elle avec entrain au jeune homme qui tient la petite caisse antédiluvienne. Comment tu vas ?

— Très bien, cheffe ! Et toi ? La ville est plus belle grâce à toi ?

Marie lui sourit et lui adresse un clin d'œil. Depuis qu'elle fréquente son magasin, Ahmed a toujours été adorable, et sa bienveillance comme ses paroles réconfortantes lui font toujours comme un baume au cœur, comme si la gentillesse légère de cet homme arrachait la couche sale laissée sur sa peau et sa conscience par tant de mâles grossiers. Elle est amoureuse d'une femme, certes, mais Ahmed lui redonne un peu foi en cette moitié d'humanité qui porte ses couilles en bandoulière en feignant de croire que tout le monde veut les toucher pour se porter bonheur.

À l'abri d'un rayon, Marie pianote adroitement sur son Fairphone, seul luxe qu'elle se soit accordé et seule concession à la modernité suicidaire de ce monde qui s'autodévore. Elle veut savoir quoi acheter à son scarabée pour qu'il ne meure pas de faim. La feuille de salade ne saurait longtemps satisfaire son appétit.

Soudain, Marie se fige et se mord la lèvre. Elle réfléchit, hésite, puis son visage se crispe sur une expression de détermination farouche, et la voilà qui se dirige vers le rayon des produits pour animaux. Elle inspecte les différents articles, un peu perdue parmi toutes ces choses auxquelles elle n'a jamais accordé le moindre regard, mais elle finit par trouver son bonheur et se saisit d'un rouleau de plastique fermé par une étiquette.

— Tu as adopté un chien ? lui demande Ahmed avec sa jovialité chaleureuse de d'habitude.

Marie pouffe et explique au commerçant :

— Je ne suis pas encore prête à tout te dire, mais je te promets de tout te raconter bientôt !

Ahmed sourit, et Marie paie rapidement avant de sortir d'un pas pressé.

Dehors, elle décolle l'étiquette du rouleau de plastique et déroule le film jusqu'aux pointillés avant de déchirer. Ensuite, elle déplie le sac et l'ouvre avant de le passer en gant. Il lui faut moins de deux pas pour trouver son bonheur sur ce trottoir qui comme partout semble indiquer qu'il arrive souvent aux propriétaires de chiens de confondre le « C » et le « T » — à moins qu'ils soient simplement des abrutis irrespectueux. Mais, ce soir-là, leur incivilité l'arrange, et elle choisit la déjection qui lui paraît la plus fraîche et la plus saine avant de l'emballer soigneusement dans le fragile pochon pour enfin reprendre la route de son appartement.

Arrivée chez elle, elle embrasse Lucie en passant et file dans la cuisine, où elle farfouille bruyamment. Son épouse la rejoint et lui demande, intriguée :

— Tu rentres affamée avec une irrésistible envie de faire la cuisine ?

Elle s'approche du petit sac translucide et l'entrouvre pour en humer le parfum.

— Et ça, qu'est-ce que...

Lucie pousse un grognement de dégoût et recule brusquement avant d'alterner des regards perplexes entre le sachet et sa compagne, qui continue de fourrager dans les placards.

— Tu m'expliques ? finit-elle par demander, vaguement inquiète de voir l'amour de sa vie perdre la tête si soudainement.

— Oui, pardon ! J'ai trouvé un scarabée !

Défis et autres accidents heureuxOnde histórias criam vida. Descubra agora