Il fronce les sourcils.

-Depuis quand tu n'as pas mangé ?

-Hier soir je crois.

Harry secoue la tête exaspéré.

-Il faut toujours qu'on te surveille comme une enfant de cinq ans. Tu ne penses même pas à te nourrir.

Je soupire et me lève pour attraper des nouilles.

***

20 mois avant l'université, avant ma porte de sortie.

La discussion avec ma mère ne s'est pas bien passée, comme je l'avais prévu. Elle avait le visage fermé tout le long, même ses paroles paraissaient neutres. Elle m'a demandé de lui expliquer pourquoi j'étais si maigre. J'ai cru qu'elle s'inquiétait pour moi alors je lui ai tout déballé et elle m'a interrompue pour me dire : « Pourquoi ne t'es-tu pas laissée faire Elinor ? De quoi auras-tu l'air dans la rue ? Les gens vont te reconnaître. Et je vais passer pour une mère indigne ». C'est ce que tu es maman. Ensuite, elle ne m'a pas crue, elle m'a dit que personne ne m'avait agressée et que je racontais des bêtises. Je me suis levée hors de moi. Comment une mère pouvait être aussi cruelle et méchante envers son propre enfant ? Elle m'a attrapée par le bras et m'a enfermée à nouveau. C'est Harry qui m'a trouvée, à moitié inconsciente. J'en avais marre de cacher des trucs à mon frère alors je lui ai dit que c'était maman qui m'avait enfermée. Étonnamment, il m'a crue. Et il est allé négocier avec notre mère pendant que je faisais mes valises.

A présent, nous habitons un petit appartement dans la périphérie de Salt Lake City. Maman est retournée au siège du journal à Los Angeles. Nous aménageons notre nouveau chez nous et j'ai enfin tout révélé à Harry. J'ai aussi découvert que je souffrais de crises de panique très violentes et qu'il fallait que je fasse attention. Je confonds le passé et le présent, je me revois là-bas. Et putain, je suis terrifiée. Alors je me fais toute petite dans le lycée où je suis inscrite. Je ne m'appelle plus Elinor mais Elie et personne n'a fait le lien avec ma mère. Je ne veux plus être reliée à elle. Je ne suis plus la fille de personne, je ne suis plus le cobaye de personne, je ne suis plus la petite amie de personne. Je ne suis personne en soi.

Je ne souffre pas, seulement de crises, mais j'ai une telle rage en moi que j'en étouffe. J'étouffe dans mon propre corps. La colère a pris la place de mon squelette. Du coup, je m'en sers pour me bagarrer avec les mecs du lycée. Un jour, quelqu'un ne m'a pas crue quand j'ai dit que je savais me battre. Alors je l'ai assommé et il saignait beaucoup. Depuis, beaucoup de garçons me provoquent pour que je leur prouve que je suis plus forte. Je gagne à chaque fois. C'est devenu un jeu qui m'aide à vider toute ma colère. En plus des soirées tous les week-ends. L'alcool est un bon remède, je ne comprends pas pourquoi on ne le propose pas à l'université.


Elie

Harry est en face de moi dans le salon. Nous sommes silencieux depuis que je lui ai raconté les événements d'aujourd'hui, je lui ai dit que je ne voulais plus d'article, que l'histoire était bouclée et que j'étais prête à aller de l'avant, mais que je ne l'ai pas dit à Ben parce que j'ai trop peur de le décevoir. Je serre fermement la clé USB qu'il m'a donnée, je ne sais pas encore si je vais lire la dernière page.

-Donc, si je comprends bien, tu pardonnes à tes pires démons ?

Harry relève la tête vers moi, le visage fermé et la mâchoire contractée.

-Non, mais je décide de ne plus vivre dans la colère et dans la peur.

-Tout ça parce qu'ils t'ont présenté des excuses ?

I NEED YOU.Where stories live. Discover now