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Sandra se retourna, étonnée. Un sourire apparu bien vite en réponse.

— Je croyais que tu voulais déjà me quitter !

Lorey sourit à son tour.

— Je crois que finalement tu me manquerais beaucoup trop. Viens, tu vas te reposer sur le canapé cette après-midi en regardant les trucs nuls à la télé avec moi.

Les lèvres de Sandra s'étirèrent en un sourire satisfait.

— Seulement si tu as de la glace dans ton congélateur. Et j'aurais aussi besoin d'une bonne douche.

Lorey acquiesça avec vigueur.

Elles passèrent donc une bonne partie de la journée à grignoter des sucreries, affalées sur le canapé en zappant des chaînes et discutant de tout autre sujet. Avoir son amie près d'elle la rassura beaucoup. Elle faisait disparaître l'ombre malsaine de l'agression. Sa présence lui permit de penser à d'autres choses.

La nuit tombait doucement, Lorey et Sandra s'assoupissaient au fond du canapé, devant une chaîne culinaire profondément assommante. Lorsque la porte d'entrée s'ouvrit avec fracas, elles sursautèrent à l'unisson.

Son père, sa future femme et Jo entraient chez eux. Le coeur au bord du précipice, Lorey se sentait définitivement de trop. Lorsque soudain, la silhouette inattendue d'Emmet se dessina dans l'embrasure. Lorey resta interdite, tapie au fond du canapé.

— Mais si voyons, c'était vraiment tordant à voir, s'exclamait Jo à l'adresse d'Emmet.

Emmet entra en acquiesçant, la mine chaleureuse.

— J'aimerai bien voir ça.

Lorey ne lui avait encore jamais vu cette expression. Ses poumons se remplirent de plomb à la seconde où sa voix l'atteignit. Ses doigts se crispèrent sur le paquet de chips qu'elle portait encore dans les mains.

Emmet portait ses habits de travail, pantalon noir cintré et chemise blanche qui lui collait à la peau. Quelques mèches noires s'étaient échappées de sa queue de cheval et lui donnaient un petit air sauvage. Lorey se mit une claque mentale devant son propre examen.

Il souriait de toutes ses dents aux paroles de Jo et portait des boîtes de pizza dans ses bras. Lorsqu'il s'avança, il les posa sur la table et ses iris noirs s'accrochèrent soudain au sien.

À moitié cachée derrière le dossier du canapé, il ne pouvait voir que ses yeux, sans doute globuleux à cet instant de stupeur. Elle lut dans les siens quelque chose d'indescriptible. Les lèvres d'Emmet se trémoussèrent presque imperceptiblement.

Lorey sentit un frisson gelé la parcourir, ses doigts serrèrent le dossier du canapé, hypnotisée. Mais qu'est-ce qui lui arrivait ? Que voulait ce type ?

Ses yeux sombres la scindaient complètement, elle se revit nue entre ses doigts et son ventre se tordit d'horreur.

Choquée, c'est la voix de son père qui la sortit de son état de transe.

— Tiens, ma chérie. Je suis content de te voir enfin.

Il inclina la tête sur le côté en voyant son amie près d'elle.

— Tu as une amie qui est venue ? Bonsoir mademoiselle.

Bonsoir ? Bon sang, quelle heure était-il ? Sandra se leva souplement, tout sourire. Ce qui l'empêcha heureusement de répondre a son père. Elle s'avança droit vers lui. Lorey avait envie de s'enfuir, loin, très loin d'ici.

— Bonsoir, je m'appelle Sandra, Lorey et moi, c'est depuis le jardin d'enfant, se présenta-t-elle en levant une main.

Son père la lui prit et la serra en lui offrant un beau sourire.

— Sandra, heureux de te rencontrer enfin, Lorey m'a beaucoup parlé de toi.

Son regard se posa sur elle et soudain, la colère prit toute la place. Personne ne bougea d'un pouce. Lorey se décolla du canapé pour se redresser.

Elle lui décocha un regard noir de circonstances. Et le sourire de son père se flétrit soudain. Elle ne voulait pas faire de scène devant tout le monde, mais voir son père qui avait l'air de ne pas être affecté le moins du monde par cette histoire la dérouta. Il s'en fichait complètement apparemment, même l'agression qu'elle avait subie ne l'affectait pas.

— Lorey, on doit se parler, s'il te plaît, viens. Il faut que je te dise quelque chose.

Lorey resta de marbre. Toutes les cellules de son corps bouillonnaient d'horreur. Tout le monde avait les yeux rivés sur elle. Elle détestait se donner en spectacle comme ça.

Du coin de l'oeil, elle pouvait voir qu'Emmet avait froncé les sourcils et croiser les bras. Sandra se tourna vers elle et s'approcha pour se mettre entre son père et elle. Elle était si proche qu'elle ne voyait que son visage. Elle posa ses mains sur ses épaules et murmura.

— Lorey, ma belle. Calme-toi. Respire. C'est le bon moment pour apaiser votre quiproquo.

Elle se rendit soudain compte que ses poumons s'étaient bloqués et mécaniquement elle les actionna. Sandra lui massa les épaules doucement.

— Tu vas suivre ton père, tu es en colère, car tout ça te touche énormément. Tu vas discuter avec lui et tout s'arrangera. Fais-moi confiance. Okay ? Je reste ici pour l'instant et j'attends que tu reviennes.

C'était ridicule. Toute cette histoire l'était. Pourquoi ne pouvait-il pas être le père qu'il avait toujours été?

Sandra s'éclipsa lentement tandis que Lorey reprenait doucement vie. Son père semblait très mal à l'aise, mais sa posture disait clairement qu'il était déterminé. Oui, ils devaient parler.

Elle acquiesça à son intention et il lui répondit en hochant la tête. Il prit la tête et monta les escaliers en regardant derrière lui si elle suivait. Ses muscles étaient si raides qu'elle se demanda si elle pourrait commander à son corps de grimper les marches.

Elle le suivit donc, lentement. Il l'attendait à l'étage. Les bras ballants, poings serrés, le regard triste. Elle le dépassa et se dirigea vers sa chambre et s'assit sur son lit. Son père s'encadra dans l'embrasure de la porte, ils s'observèrent quelques secondes en silence. Un silence pesant et extrêmement douloureux. Son coeur battait la chamade, elle voulait le détester. Des larmes piquèrent derrière ses paupières et elle les réprima violemment.

— Lorey, je suis tellement désolé.

Ces simples paroles furent comme s'il venait de crever l'abcès qui suppurait sur ses émotions.

— Je m'en fous, murmura-t-elle du fond de sa gorge.

Tatouage de Sang - Malédiction. Tome 1Where stories live. Discover now