Sacré bordel

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Toute la journée, Thomas sentit son angoisse grandir. Certes, elle ne l'avait jamais lâché, mais aujourd'hui, c'était bien pire. Ce qui n'était qu'une petite aiguille appuyant sur son estomac devint une boule de pétanque, lourde et douloureuse, alors que le soleil déclinait dans le ciel. Il appliquait à la lettre les exercices de respiration apprise en atelier de réinsertion, essayait de rester le plus rationnel possible, car rien ne pourrait lui arriver entre ces murs. Cependant, son instinct de survie refusait d'admettre que le jeune homme se trouvait en sécurité. Non, quelque chose allait arriver, quelque chose de dangereux pour lui.

Depuis quelques semaines, déjà, Thomas suivait une routine étrange qui intriguait autant qu'elle énervait son colocataire. Le jeune homme commençait par vérifier que tout dans la chambre soit bien à sa place, puis il positionnait des objets au sol de manière aléatoire avant de s'emmitoufler dans ses couvertures. Il retenait les emplacements précis de chaque élément de manière à savoir si quelqu'un s'introduisait en pleine nuit dans son espace. Sous son oreiller, était caché un roman assez épais dont Thomas pourrait se servir comme projectile dans le cas d'une attaque. Yvick n'osait plus se rendre aux toilettes la nuit de peur de provoquer une crise d'angoisse à Thomas s'il se rendait compte que sa vieille pantoufle avait bougé de quelques centimètres. Et ce soir-là, Thomas fut encore plus méticuleux que d'habitude.

Thomas n'en pouvait plus de se sentir observé. De sentir cette chose tapie dans l'ombre, prête à en finir avec lui. De sentir la mort rôder à ses côtés, sans rien pouvoir faire. Il savait ses jours comptés alors qu'il lui restait des milliards de choses à vivre. Le détenu avait tenté d'en parler à Yvick une fois, toutefois, la réponse reçue n'était pas celle attendue. Bien sûr, son ami dirigeait un gang, cette sensation de mort imminente faisait partie de son quotidien et l'adrénaline le tenait en haleine. Thomas aurait au moins voulu savoir ce qui l'attendait, parce que le fait de ne pas savoir d'où venait le danger l'épuisait. À croire que cette chose, quelle qu'elle soit, appréciait de jouer avec ses nerfs. Soudain, un bruit attira son attention. Le rouge et le noir gisait au sol, au milieu de la pièce. Sentant son malaise grandir, les muscles de Thomas se crispèrent. Doucement, il se leva et ramassa l'ouvrage avant de le poser sur sa table de chevet. Il se réinstalla confortablement, comme si sa couverture allait agir comme un bouclier. 

Thomas somnolait lorsque le même bruit résonna dans sa chambre. En sursaut, il jeta des coups d'œil apeuré autour de lui. Puis par terre, au même endroit que tout à l'heure, Le rouge et le noir le narguait. D'une voix aiguë, il appela "Yvick" mais seul un silence moqueur lui répondit. Alors pour la seconde fois, il ramassa le livre, vraiment inquiet, et le reposa sur sa table de chevet. Un léger courant d'air caressa ses cheveux bouclés. Thomas en chercha la provenance quelques instants avant de le sentir à nouveau, cette fois soulevant son T-shirt de pyjama. Il vit ensuite des moutons de poussière tournoyer joyeusement. Le détenu observa encore un peu l'étrange phénomène avant que son inconscient ne lui hurle de fuir. 

Il était trop tard. 

Il était trop tard. 

IL ETait BIeN TrOp tARD. 

Un rire malveillant remplaça le silence que Thomas regretta très vite, ce son horrible finirait par lui exploser les tympans. Le vent souffla plus fort dans la chambre, emportant d'abord les petits objets avant de déplacer le mobilier le plus lourd. Si Thomas osait quitter le cercle, il serait assommé par une chaise ou un bureau. Il sentit une force invisible lui agripper le pyjama et il quitta peu à peu le sol. Thomas agitait ses pieds, cherchant une stabilité en vain. Devant ses yeux, se jouaient tous ses pires cauchemars. 

Au milieu de ce brouillard d'illusions, il entendit une voix. D'abord imperceptible, elle finit par se faire plus présente. C'était celle de Damien, le gardien lui ayant promis de le faire sortir d'ici une fois son innocence prouvée. Piégé dans une boucle où il revivait la mort atroce de sa femme, Thomas fut rassuré de ne plus être seul.

- Concentre-toi sur ma voix. Tu m'entends ! Écoute-moi ! Pense à des trucs agréables ! Bordel, Thomas, s'il te plaît, essaye !

Le jeune homme ne voyait pas en quoi cela pourrait l'aider et le ton paniqué du gardien ne l'aida pas à considérer ces instructions, mais il n'avait aucune autre idée. Il pensa donc au sourire de la bibliothécaire de la prison, à ses années de lycée, à son premier noël avec sa copine, à Damien quand il avait affirmé qu'il le croyait. Doucement, ses pieds retrouvèrent un contact avec la terre ferme et d'un coup, tous les objets volant autour de lui tombèrent. La dernière chose qu'il vit avant de plonger dans un profond sommeil fut son exemplaire du Rouge et le noir posait un peu plus loin à côté de son oreiller. Silencieusement, il se promit de le rendre au plus vite à la bibliothèque.

Entre quatre mursWhere stories live. Discover now