Chapitre 1

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Lorsqu'on arrive de Paris, du bruit et de la pollution après plus de quatre heures d'autoroute limitée à 130, c'est tout à coup, d'un autre monde dont il s'agit. Comme une parenthèse limite enchantée dans une vie trop souvent agitée, et l'impression soudaine que le sablier du temps vient de s'arrêter pour de bon. Plus de passé... quant au futur, sur le moment, on y pense même plus, tant l'instant présent nous absorbe, en même temps qu'il nous rend cette perception presque oubliée d'être au monde, bel et bien vivant, et d'y voir clair.

Chemin faisant, il s'était mis à floconner. Cathy et Lydia accélèrent le pas en direction de cette maison aux volets bleus qu'elles apercevaient, maintenant. Il ne leur restait guère plus de cinquante mètres à parcourir. Mais le froid coupant et le vent contraire rendaient leur marche de plus en plus pénible. Fouillant alors dans une poche de sa parka, Lydia en sortit son attirail de fumeuse -paquet de cigarettes blondes et briquet, et elle fit signe à Cathy de s'arrêter sur les bords de la Sèvre.

-Si on s'en grillait une petite, ça nous réchaufferait, peut-être.

Au même moment, à l'intérieur de la maison, Mylène émergeait tout juste d'un de ces longs et profonds sommeils provoqués par les « trucs » qu'elle disait prendre pour dormir. Dans un état encore comateux, elle ouvrit une première fois les yeux, puis les referma aussitôt, refusant obstinément d'être confrontée à une réalité qu'elle rejetait de toutes ses forces. Ou plutôt du peu de forces qu'il lui restait, après deux semaines de ce régime radical, cafés-clopes et eau du robinet.

Quinze jours qu'elle n'ouvrait plus les volets de sa maison... quinze jours que de sa bouche, il n'était pas sorti d'autre son que celui des sanglots qui secouaient tout son être, parfois des heures durant, jusqu'au moment où, n'en pouvant plus, elle se retrouvait comme à chaque fois prostrée, face au mur de sa chambre, avec dans la tête cette suite de mots qui défilaient en silence et sans ponctuation : « jesuisraidedingueamoureuxdetoit'esmameufmafemellej'aienviedetoid'êtreentoionestgravel'unpourl'autre »... C'était lancinant comme un mal de dents et la musique qu'elle écoutait en boucle avec le bruit de la pluie qui dégoulinait sur le velux, juste au dessus de son lit... Sauf que ce matin-là, il ne pleuvait pas, il neigeait ; que sa tête était vide, son cœur anesthésiée... Alors l'envie d'un premier café-clope la tira du lit. Mais ses jambes refusèrent de la porter jusqu'à la cuisine, et Mylène eut l'impression soudaine d'être projetée hors de son propre corps qu'un fluide glacial remplissait. Elle se rendait parfaitement compte qu'elle venait de s'enfuir d'elle-même pour ce vide blanc dont elle eut à peine le temps de gouter l'apaisant silence... Une dernière pensée lui traversa l'esprit : « Soit je rêve et je vais me réveiller et ce ne sera pas vrai tout ça... soit c'est vrai, et je suis tombée sur un salaud de la pire espèce »... Et elle perdit connaissance.

Dehors, dans l'éclatant silence où tout scintillait de blanc, l'une des filles sonnait à la porte, l'autre tambourinait de plus en plus fort dans les volets. Elles appelaient, Mylène ?... Mylène tu es là ?... Et bien sûr, personne ne répondait.

Au bout de dix minutes, elles décidèrent d'aller boire un café, dans un bar qu'elles avaient repéré sur la place où elles avaient garé leur voiture de location.

-P'tain, Lydia, tu crois que...

-C' qu'j'crois, c'est qu'on croit toutes que ça n'arrive qu'aux autres. Eh ben nan, tu vois, même Mylène... Pourtant Mylène... Mais j'te jure que ce salaud, avec tout ce qu'on sait sur lui, now, il ne va pas nous la jouer longtemps comme, ça, l'innocent aux mains pleines qui dort sur ses deux oreilles, et se rase tous les matins, sans tiquer sur la tête d'enfoiré que lui renvoie son miroir.

Le salaud romantiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant