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Son prénom sortant de sa bouche lui fit un drôle d'effet, comme s'il en avait savouré chaque syllabe. Puis, d'un ton adouci, il ajouta :

— Je ne sais pas ce qu'il s'est passé avec ton père, mais tu dois régler ce problème. Je pense qu'il le mérite, comme tu méritais d'être secouru hier soir.

Il rouvrit les yeux et les planta dans les siens. La pensée de quitter les lieux s'imposa à elle soudainement comme une contrainte. Avait-elle envie de rester ?

Non, c'était impossible. Elle chassa rapidement cette sensation comme elle essuya la larme qui avait roulé jusqu'à son menton et d'un même geste, se leva. La main d'Emmet retomba, rompant le contact. Elle s'en sentit soulagée et n'osa plus croiser son regard.

— Très bien, oui. Je vais m'en aller. Je, euh... te remercie, pour ton aide et... tout ça, dit-elle en désignant les plats tous à moitié vide sur la table et qu'elle n'avait même pas touché.

Le malaise remonta et noua son estomac. Il s'écarta tandis qu'elle s'avançait pour attraper son sac et son téléphone. Emmet lui tendit les clefs de sa voiture puis elle se dirigea vers la sortie.

Alors qu'elle ouvrait la porte d'entrée pour s'engouffrer vers la sortie telle une petite souris apeurée, Emmet lui attrapa le poignet dans un geste ferme pour la retenir.

Elle retint un hoquet de surprise et se tourna vers lui, inquiète. Sa main chaude et lourde intimait une mise en garde. Il s'approcha un peu trop prêt à son goût, elle pouvait discerner les minuscules rides aux coins de ses yeux.

Sa fragrance menthe poivrée l'atteignit et son coeur manqua un battement. Elle s'arrêta de respirer et son regard franc la fit vaciller.

— C'était un plaisir, Lorey.

Il prit le même ton qu'il avait employé plus tôt lorsqu'il avait prononcé son prénom, comme s'il en savourait chaque lettre. Ce comportement la déstabilisa, elle resta sans voix à le contempler.

Un ange passa, puis il relâcha son bras, électrisant par la même tout son membre jusqu'à son cerveau. Il recula lentement et une seconde avant que la porte ne se referme, Lorey put voir une expression pleine de regret peinte sur son visage.

Le bruit de la porte résonna fortement dans ses oreilles. Elle resta un instant à la contempler, ne sachant que penser de ce personnage lunatique.

Vidée et exténuée par cet échange dans ce couloir trop silencieux pour elle, elle frotta la peau de son poignet qui irradiait d'une chaleur piquante.

Elle secoua la tête pour reprendre ses esprits et ses clefs tintèrent dans le mouvement. Oui, la voiture, rentrer. C'est alors qu'elle put à nouveau respirer. Rentrer... à la maison?

Elle devait bouger pour oublier tout ce qui venait de se passer à propos de cette agression. Surtout, ne pas y songer. Respirer à fond, et marcher. Chaque chose en son temps. Oui, c'était l'une des phrases que son père lui avait souvent répétées, lorsqu'elle était plus jeune.

Elle se figea dans les escaliers. Que faire... Elle sentait toujours une colère sourde à l'égard de son père. Pouvait-elle rentrer à la maison? Était-elle capable d'y faire face? Elle leva son portable sous son nez. Vingt-quatre appels... Ce n'était pas rien. Elle sortit alors du bâtiment en évitant de prendre la porte du restaurant. Elle n'avait aucune envie de se retrouver nez à nez avec Jo, ou Estelle, ou même son père pour le moment.

Oui, après réflexion, elle n'avait aucune envie de se retrouver en face de lui. Elle balaya la rue des yeux, à la recherche de sa voiture rouge. Elle plissa les paupières tant la lumière du soleil l'éblouissait. Ça n'était pas habituel, mais son corps guérirait. Elle se mit au volant de sa voiture, encore indécise. Puis elle remarqua que son siège avait bougé, son rétroviseur n'était plus à la bonne place non plus.

Soudain, elle se demanda de quelle manière Emmet l'avait suivi. Avait-il une voiture ? Avait-il pris le bus? Un taxi?

Elle secoua la tête. C'était des interrogations inutiles pour le moment. Elle remit tout en ordre puis démarra en trombe et quitta le trottoir.

Lorsqu'elle se gara dans le chemin de la maison de son père, ses mains tremblaient légèrement. La peur, la colère et la répulsion s'étaient peu à peu emparées d'elle tandis que sa voiture dévorait les kilomètres.

Il n'y avait aucune autre voiture dans l'allée et elle en fut grandement soulagée. Elle sortit et s'avançait vers la maison d'un pas assuré lorsque la porte d'entrée s'ouvrit brutalement. Elle sursauta en se pensant en sécurité lorsque son père lui fit face, le visage blafard, les cernes sous les yeux et le regard choqué.

— Lorey! couina-t-il d'une voix dérayée. Où étais-tu passée ? Qu'est-ce... Qu'est-ce qui t'es arrivé ? Ton visage...

Il semblait vraiment bouleversé. Le coeur de Lorey lui fit mal. Elle repoussa la sensation. Il n'avait pas pensé à sa petite fille chérie pour avoir envie de se marier le jour de son anniversaire, lui. Sa rancoeur refaisait surface, mélangée à la honte de ce qu'il s'était passé la veille.

Elle continua d'avancer vers lui, l'expression durcie par tant de tension. Il s'écarta pour lui laisser la place et elle ne lui offrit aucun regard.

— Qu'est-ce que ça peut te foutre?

Elle le dépassa en grognant à son adresse et se dirigea directement dans sa chambre en jetant toutes ses affaires sans douceur sur le bureau encore vide de sa présence.

Son père était resté un moment dehors, sans doute sous le choc. Elle ne lui avait jamais adressé de telles paroles. Elle n'en avait rien à faire. Elle ferma les rideaux de la baie vitrée et se laissa tomber mollement dans son lit.

Quelques minutes plus tard, un léger toc-toc à sa porte se manifesta et Lorey grinça des dents.

— Lorey, s'il te plaît. Laisse-moi te parler.

Elle s'assit de colère dans son lit.

— Fiche moi la paix. J'ai pas envie de t'entendre ! Si tu continues, je rentrerai chez maman! hurla-t-elle en serrant les poings.

Elle savait que c'était une réplique complètement débile, mais c'était la seule chose qui lui était venue à l'esprit pour le faire partir.

Sa respiration s'était faite saccadée sur l'instant. Sa poitrine la faisait souffrir. Elle sentit son coeur remonter aux bords des lèvres et un sanglot la secoua. Elle se retint en fermant les yeux, écoutant les pas de son père s'éloigner.

La porte d'entrée s'ouvrit et se referma. Il avait dû quitter la maison. Il n'avait pas de voiture. Elle renifla en essuyant ses larmes. Ça lui fera les pieds. Elle se rallongea et alors elle put laisser libre cours à ses émotions de s'exprimer. Elle pleura longtemps, puis elle finit par s'endormir.

La faim la réveilla et lorsqu'elle ouvrit les yeux, il faisait encore jour. Avec un peu de chance, la maison était encore vide. Son père avait dû raconter dans quel état sa fille était rentrée et elle savait qu'elle devrait passer les interrogatoires.

Elle savait d'avance qu'elle ne répondrait pas. Elle n'avait qu'une envie, c'était de les éviter tous. Elle avait même pensé à rentrer chez elle. Au fond, elle ne voulait pas inquiéter sa mère. Si elle rentrait dans cet état, elle deviendrait folle. Tout ce dont elle avait besoin était de tranquillité. C'était apparemment trop demandé.

Elle se leva en se frottant les yeux. Et passa devant le miroir sans se regarder, c'était déjà bien assez difficile comme ça.

Dans la cuisine, elle se prépara un sandwich qu'elle dévora à pleine dent en savourant le silence et la maison déserte. Puis, avala un cachet d'aspirine. Son mal de crâne reprenait du service.

Elle aurait aimé habiter seule en appartement. Elle enviait Emmet, qui vivait par lui même. Cette pensée fit revenir tout ce qui lui était arrivé. Et elle se prit la tête dans les mains.

La mort aurait pu l'emporter cette nuit. Heureusement qu'il avait été là, elle avait eu du mal à se l'avouer au départ. Emmet la mettait mal à l'aise. Pourtant, qu'est-ce qu'il serait advenu d'elle, s'il n'avait pas agi ? Il avait lui-même avoué l'avoir suivi. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il lui voulait ?

Qu'allait devenir sa vie, après tout cela ?

Tatouage de Sang - Malédiction. Tome 1Where stories live. Discover now