Chapitre 1

115 11 17
                                    


1742, Chaville

Mon regard restait fixé sur la belle femme assise au fond de la salle. A travers les carreaux, je visualisais sa perruque blanche parfaitement poudrée et sa robe en tissu rose. Sa toilette était sobre, sans trop d'artifices. Des turbans étaient noués sur l'avant de son buste et sa poitrine débordait généreusement. Les robes des trois autres qui l'accompagnaient étaient plus classiques, dans des couleurs plus sombres, plus neutres.

Je me levai, manquant de glisser sur la boue fraiche qui s'était formée à cause de la pluie et me dirigeai vers l'arrière-cour. Je m'accroupie devant la porte en bois légèrement entrouverte pour écouter leur conversation.

— Grand dieu, non ! Ne pensez-vous pas que la subordination empêche la réflexion sur soi ? sans remise en question, ni prise de conscience, un homme n'en est plus un mais un animal sans âme destinée à servir de profit aux puissants ! proclama-l'une.

Je souris. Je reconnaissais la voix de la jolie dame. Elle ne manquait jamais de répartie, ni de bonnes idées en matière de droit à la liberté. Elle avait raison, apprendre aux hommes à obéir sans broncher leur interdisait toute réflexion sur eux même et la vie. Les Hommes devaient être libres, que ce soit de penser ou d'agir. Nous n'étions pas des animaux, nous avions un rôle sur cette Terre et ce n'était pas en nous brimant ou en nous utilisant comme des pions que le monde se porterait mieux. Je méprisais les puissants, tous les gens qui se sentaient supérieurs. J'aimais la philosophie, les droits, et la liberté d'expression.

Lorsque c'était possible, je me rendais en cachette devant ce bâtiment qui était parfois aménagé en salon de discussion. D'ordinaire il s'agissait d'un magasin de couturier dans lequel j'avais travaillé durant un temps. On m'avait fichu à la porte car j'avais mal reprisé une pièce d'étoffe. J'écoutais les discours des grandes dames qui se réunissaient pour parler de Voltaire. Ces femmes issues du milieux bourgeois se faisaient appeler différemment, on disait d'elles qu'elles étaient « précieuses » car leurs paroles ne manquaient pas d'esprit.

Le clocher sonna les coups de vingt heures. Fichtre ! Je devais partir ! Je rabattis mon capuchon et circulai dans les rues pavées au pas de course. Les habitants étaient déjà rentrés à cette heure-ci. Mon ventre se serra. Pourvue que ma mère ne remarque pas mon absence. La pénombre n'allait pas tarder à encercler les rues. Le moucheur de bougies commençait sa tournée. Placé en équilibre sur son tabouret, il allumait les bougies des lampadaires. Les commerçants finissaient de ranger leurs étals de légumes. Quelques bruits de sabots tapaient encore la pierre, au loin, mais le calme s'installa peu à peu. Mes chaussures s'enfonçaient dans la crasse et la boue qui jonchaient la rue. Je maintenais le pan de ma robe pour ne pas la salir davantage. Des panneaux indiquant la fonction des différents commerces, étaient accrochés aux bâtiments en briques collés les uns aux autres. Les gens fermaient tour à tour leur volets en bois. Je pressai le pas. Il me fallait un bon quart d'heure de marche pour rejoindre ma maison.

Bientôt je me retrouvai seule. Derrière moi, je perçus le hennissement d'un cheval. Un fiacre s'avança dans ma direction. Je serrai sur ma gauche en resserrant les cols de ma cape grise en laine. Dos au mur en brique, j'attendis qu'il passe l'arche d'un pont bien trop étroit pour nous deux.

Je me rapprochai du mur, et suivis du regard le fiacre noir qui s'avançait. Un blason pourvu de plume ébène ornait le haut de son carrosse. A travers la vitre de la fenêtre, je croisai le regard onyx d'un homme élégant à chapeau. Il s'agissait sans doute d'un noble. Ces gens-là ne passaient pas souvent dans les villages pourtant, ils avaient bien trop peur d'attraper des maladies par notre faute.

Contre toute attente, il tapota pour arrêter le véhicule. Mon cœur s'emballa. Que me voulait-il ? Le cocher descendit pour ouvrir à l'individu. Je me tendis. Canne en main, il se dressa devant moi révélant sa silhouette longiligne. Il était pourvu d'un costume bleu ciel aux liserés d'or. Ses manchettes en dentelle dépassaient de son veston et un jabot en lin blanc habillait son cou. Il réajusta son grand chapeau sous lequel une perruque brune et bouclée prenait place jusqu'au niveau de sa poitrine. Un sourire se forma sur son visage, criant de saillantes rides jusqu'à ses yeux. Il me détailla durant de longues secondes avec une insistance qui me mit mal à l'aise. Bon sang, pourquoi restai-je pétrifiée ainsi devant lui ?

Le secret du lysWhere stories live. Discover now