la petite fille

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la petite fille.

il faisait sombre.

un faible rayon diaphane traversa une vitre couverte d'une fine couche givre translucide et frappa le visage pâle qui reposait dans un amas de tissus duveteux. deux iris gris, brillants comme des diamants s'ouvrirent avec nonchalance, semblant être lassés de ce petit manège qui leur devait être familier et savoir qui les avaient tirés du sommeil. leurs pupilles noires d'encre de baladèrent à travers la pièce, passant le moindre recoin poussiéreux au peigne fin pour finir par se bloquer sur la lune. la sphère nocturne contemplait avec amusement le spectacle de cette paires d'yeux, perles scintillantes qui paraissaient l'accabler de reproches : « pourquoi tu nous a réveillés ? on dormait si bien... ». l'astre de la nuit en ria, mais sans plus de réponse. les prunelles tentèrent de prolonger un peu plus longtemps le dialogue silencieux, mais la lune resta muette. sans protester, la petite fille descendit lentement de son lit et s'éloigna de la fenêtre recouverte de gel à pas de loup.

la fillette commença à fouiller dans son coffret de bois. ce dernier était fait en frêne rugueux, très rude sous ses doigts pâles et fins semblables à des cierges effilés. elle continua néanmoins sa recherche, faufilant ses mains entre les jouets que contenait le petit coffre rigide. de temps en temps, elle s'emparait de l'un deux, l'examinait avec soin et finissait par le poser délicatement à ses pieds nus.

pour finir, quand il ne resta plus que quelques grains de poussière au fond de la caisse, elle déplaça toutes ces babioles avec un petit sourire au coin de ses lèvres. lorsqu'ils finirent par former une ronde qui entourait la fillette, elle ferma ses paupières, semblables à deux lambeaux de lumière, et prit au hasard d'une main un peu hésitante une poupée de porcelaine souriante aux joues colorées d'un rose pâle ressemblant à celui des pétales de rose éclosant au petit matin. l'enfant l'installa sur ses genoux et caressa d'un geste très doux la chevelure platine qui retombait en vagues bouclées sur les épaules délicates de la figurine, elle la câlina et elle commença à lui murmurer au creux de son oreille.

quand elle n'eut plus rien à dire, elle reposa la poupée à sa place et s'empara de son voisin, un ourson tout pelé, recommença le même manège avec lui, et ainsi de suite.

les jouets, eux, se taisaient. ils écoutaient. quand bien même ils n'avaient pas d'oreille, ils entendaient et respectaient ce qu'elle leur racontait ; ils percevaient toute  douleur chargée dans ces paroles, ces secrets inconnus comme des blasphèmes honteux cachés dans les parois de coton, de bois ou de chiffon de ces babioles.

au bout d'un certain temps, la fillette reposa le dernier objet – une boule de chiffon avec des boutons bruns aux reflets ambrés en guises d'yeux – à côté de la poupée de porcelaine qu'elle avait saisit au début. elle prit une profonde inspiration, apaisée, puis rangea tous ses jouets, exactement comme ils étaient disposés avant. furtivement, elle se releva, puis partit d'un pas léger se blottir dans sa couette rapiécée.

au-delà, par-dessus la fenêtre couverte de givre translucide, la lune pleurait.

corneille | nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant