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La porte claqua et elle se retrouva seule. Le silence l'enveloppa amoureusement. Ses oreilles se mirent à siffler pour combler le vide. Elle regarda autour d'elle, abandonna son petit déjeuner pour explorer la maison avec plus de liberté et moins de retenue.

Tout était bien rangé. Trop bien rangé. Elle ne reconnaissait plus la marque de son père. Pas de chemises froissées sur un vieux divan, pas de couche de poussière sur les meubles, pas d'ampoules grillées à changer.

Estelle s'était bien imprégnée de l'endroit. Quelques photos étaient accrochées aux murs, ou posées joliment sur le buffet du salon. Ils avaient vraiment l'air d'une famille, posé là, tous ensemble en souriant à l'objectif.

Elle s'arrêta sur l'une d'elles. On l'y voyait avec son père lorsqu'elle était encore enfant. Mais il n'y en avait pas d'autres, elle n'aimait pas se faire photographier. Une pointe de jalousie perça lentement, mais elle la réfréna en maugréant. Estelle lui avait volé son père, mais Lorey était assez mature pour reconnaître qu'il semblait heureux.

Elle ne voulait que son indépendance de toute façon. Elle se promena ainsi un moment, s'appropriant un peu les lieux, puis elle retourna dans sa chambre récupérer son vieux sac pour sortir. Elle ne pouvait plus rester à l'intérieur.

Il fallait qu'elle visite la ville par elle-même et s'il lui était possible d'imaginer vivre ici toute l'année, avec cette nouvelle famille. Elle s'était déjà renseignée et il y avait une fac pas très loin. Sa décision d'abandonner sa mère pour venir vivre avec son père lui semblait bancale maintenant. Il allait falloir qu'elle réassemble ses pensées à ce propos. Elle avait un moment avant de prendre une mauvaise décision, bien qu'elle avait déjà envoyé les papiers d'inscription à cette fac depuis des semaines.

Si elle décidait de rester, elle savait que les choses pourraient lui être compliquées. Vivre avec plusieurs personnes dans une maison, elle n'y avait jamais été confrontée.

Déjà, ces quelques heures passées en leur compagnie lui semblaient un autre monde, ce n'était vraiment pas évident. Et elle se sentait comme une comédienne en déambulant ici. Il fallait qu'elle se souvienne de se retenir, d'être polie et de sourire. Elle ne voulait pas non plus gâcher le bonheur de son père, car temps qu'il était occupé ailleurs, mieux elle pourrait garder sa liberté.

Sur cette pensée, elle quitta la maison et verrouilla la porte derrière elle. Elle retrouva sa voiture avec un bonheur non feint et s'éloigna avec hâte de la maison. Enfin seule dans ce tout petit espace, elle se sentit en sécurité. Elle put mettre la radio en route en toute liberté et vagua dans ses pensées.

Elle passa devant le bar-restaurant en faisant la grimace. Emmet revint dans ses pensées quelques secondes et elle sentit ses oreilles chauffer. Quel enfoiré. Si elle le recroisait et qu'il gardait cette attitude envers elle... elle essaya d'imaginer des scènes où elle pouvait le frapper violemment avec un outil assez lourd pour laisser de belles traces.

Puis, elle roula des yeux pour elle même, c'était stupide. Elle avait besoin de s'amuser, de vivre.

La circulation routière se faisait mal. Elle avançait tel un escargot malade et il commençait à faire une chaleur insoutenable. Elle ne pouvait pas rester les bras croisés à attendre que la route se libère. Qu'est-ce qu'ils avaient, tous ces gens à rester au milieu de la route? Elle chercha du regard un parking où se garer, elle irait bien plus vite à pied. Lorsque la voie se libera, elle s'y dirigea rapidement et abandonna sa voiture avec regrets.

À quoi ça servait d'avoir une voiture si c'était pour la laisser là sans arrêt ? Elle leva les yeux autour d'elle. Des gens grouillaient de partout. Des touristes sans aucun doute. Elle entendait des enfants crier ou pleurer. Elle se sentit soudain mal et s'adossa à sa voiture. Un coin tranquille et vite ... les paroles de Jo lui revinrent en mémoire.

"Pas de coin tranquille ici en été."

Évidemment... le soleil, les palmiers... le monde. Elle grimaça. Vivre ici ? Vraiment ?

La tranquillité et la pluie fraîche lui manquèrent soudainement et l'image de sa mère était collée à cette vision. Non, elle pouvait bien essayer de s'acclimater. Ça ne faisait même pas deux jours qu'elle était ici.

Prise d'une nouvelle fougue, elle trancha la foule sur son passage en essayant de les ignorer. Mais le brouhaha constant la ramenait sans cesse au présent.

Elle se rendit compte soudain qu'elle s'était garée sur le même parking que la veille et elle tourna la tête vers le bar-restaurant de son père avec horreur.

Jo, habillé en chemise blanche et d'un pantalon noir lui fit un signe de la main. Comment pouvait-il l'apercevoir entouré de tant de monde? Elle décida de l'ignorer totalement et commença à marcher dans la direction opposée. Sur le trottoir, la place était convoitée. Les gens marchaient, la plupart avec leurs enfants, un coup sur le trottoir, un coup sur la route. Les bars et les restaurants s'étaient étalés au maximum, ne leur laissant aucun choix.

C'était donc pour cette raison que les véhicules roulaient au pas. Elle était parfois bousculée et elle se sentit soudainement oppressée par l'idée que si elle s'arrêtait au milieu de tous ces gens, elle serait écrasée par la vague mouvante. Ce n'était pas le bon choix.

La masse de gens qui ne cessait de la frôler lui donna la nausée. Elle sentit son coeur battre la chamade de façon irrégulière et ses membres commencèrent à trembler. Sa gorge était desséchée. Ses yeux scannèrent la foule abondante pour trouver un endroit calme et sain.

Son sac contre sa poitrine, elle tenta de contenir la panique qui grandissait. Ses pas se firent inconstants. Les gens qui grouillaient ne se préoccupaient pas d'elle, la dépassant d'un pas rapide et maîtrisé lorsque ses propres pas ralentissaient. Ils la frôlaient sans cesse, la bousculant parfois. La chaleur la fit suffoquer et elle s'arrêta soudain de marcher en collant son dos au mur d'un établissement qu'elle ne prit pas la peine d'observer. C'était ridicule de réagir ainsi.

Une goutte de sueur glissa le long de sa tempe. Les yeux fermés, les sons de la foule lui parvenaient par vague, sa tête se mit à tourner et ses doigts se serrèrent plus fort contre son sac. Rien ne pourrait la protéger contre ce flot constant et incessant.

Un instant passa, elle tenta de maîtriser sa respiration, son coeur ne se calmait pas. Elle eut envie de vomir lorsque soudain, deux mains se posèrent fermement sur ses épaules. La charge d'adrénaline lui fit ouvrir les yeux dans une acclamation de surprise, son coeur manqua un battement et elle sentit ses jambes se dérober sous elle. 

Tatouage de Sang - Malédiction. Tome 1Where stories live. Discover now