Chapitre 6

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Durant l'après-midi, j'étais ressorti pour me promener dans le vallon. Suivi à distance par Jonas et son attitude énigmatique, je fis le tour des maisons. Toutes portaient le même symbole dessiné à la craie : un triangle avec des sortes de bras ou d'ailes, surmonté d'un petit cercle. Sur certains bâtiments, souvent les plus anciens, il y en avait toute une série de tracés.

Le kiosque central était surélevé d'un peu plus de deux mètres. Il n'y avait pas de toit et les poutres étaient ornées de lierre tressé. Toutes les maisons du hameau étaient d'une facture simple, mais ce monument faisait l'objet d'un travail particulier. Ici, le motif du triangle était repris sous forme de gravures stylisées à même le bois.

Durant les heures qui suivirent, personne ne sortit des habitations, ce qui renforça mon sentiment de me trouver dans un village fantôme ; observé par ce drôle de gamin. Lorsque le soleil eut suffisamment avancé son déclin, la vie commença à se faire entendre à l'intérieur des demeures. On ouvrait les fenêtres. On mettait la table. On sortait la vaisselle. Les morts se réveillaient-ils de leurs tombes ? Je souris tout seul à cette ridicule réflexion intérieure. Il semblait toutefois que tout le village avait adopté le même rythme de vie que Tom.

D'ailleurs, en poussant la porte de la petite demeure de mon ami, je le trouvai occupé déverrouiller les volets. Il avait quitté sa grosse couverture et paraissait plus énergique qu'en début d'après-midi.

— Alors, tu as trouvé de quoi t'occuper ? Tu as fait le tour du vallon ?

— Oui. C'est tout de même étrange, ce silence, fis-je remarquer. Tes voisins sont malades aussi ?

— Je ne suis pas malade, rectifia-t-il d'un ton soudainement vif.

Les volets ouverts, le crépuscule irradia l'intérieur de la maison. Thomas se tourna vers moi.

— Allons nous promener, déclara-t-il.

Je m'immobilisai. Son visage... La lumière du soir révéla des traits familiers, mais avec une particularité qui me glaça le sang. Il avait les joues affreusement creuses, et sa peau... Sa peau était parcourue de taches noirâtres repoussantes qui lui donnaient une allure de cadavre.

Décontenancé l'espace d'un instant, je le laissai passer devant moi, avant de prendre sa suite en sortant de la maison. Dehors, on pouvait entendre des discussions et des pas s'activer un peu partout. C'était étrange. À peine vingt minutes plus tôt, ce lieu semblait mort. C'était comme si on avait enlevé la pause dans un jeu vidéo type Sim City... mais en plus lugubre.

— Tu l'as forcément remarqué, entama Thomas. Le Dôme-Alvin est un lieu spécial.

— Spécial est bien en dessous de la réalité, répondis-je en me retenant de l'interroger sur son état physique.

Une vieille dame apparut de derrière une des maisons voisines, l'allure tranquille et le visage avenant sous ses cheveux noir charbon.

— Bonjour, mon cher Thomas, s'exclama-t-elle.

— Bonjour, Annie. Je te présente mon ami de longue date, Rémi.

La femme se tourna vers moi, sourire aux lèvres, et m'inspecta de haut en bas. Son visage était également couvert de tâches sombres, mais encore plus abondantes que sur celui de Tom. En fait, plus de la moitié de son faciès était bouffé par ce mal repoussant.

— Bonjour, Madame, articulai-je en inclinant respectueusement la tête.

— Thomas n'a pas arrêté de parler de votre venue, jeune homme. Soyez le bienvenu au Dôme-Alvin.

Elle s'approcha de moi et me prit dans ses bras. La proximité avec sa hideuse peau malade me fit déglutir avec bruit. Je sentis même sa joue se frotter brièvement à la mienne. Sa peau était aussi sèche que de la paille et une odeur de renfermé émanait d'elle. J'en eus un haut-le-cœur.

Ceux du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant