Chapitre 1

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Cette étrange histoire débuta au printemps 2018. C'était un lundi. Je m'en souviens très bien car, d'usage, je ne recevais aucun courrier en dehors des habituels envois administratifs : banque, abonnement internet, loyer. Enfin, j'imagine que vous voyez bien le genre.

Ce lundi-là, c'était différent. Il s'agissait d'une lettre. Une vraie. Immédiatement, je lus le nom en bas pour en connaître l'expéditeur. Quelle ne fut pas ma surprise à la lecture de celui-ci : Thomas Beauval. Cela devait faire au moins cinq, ou peut-être même six ans que je n'avais pas eu de nouvelles de Tom ! Aussi, je recommençai aussitôt ma lecture à partir du haut.

Mon cher Rémi,

J'imagine ta surprise à l'ouverture de cette lettre. J'ai encore en mémoire notre dernier échange, en 2012 à la gare de Lille Flandres.

Je suis désolé de n'avoir pu te donner de nouvelles, depuis. Mon installation en Savoie a pris du temps. Du temps pour connaître les lieux, les gens, et surtout pour trouver ma place. Et je l'ai vraiment trouvée, ici.

Si je t'écris aujourd'hui, c'est pour te proposer de venir dans les Alpes. J'ai tellement de choses à te raconter et à te faire découvrir ! À la fin avril ou en mars, cela serait idéal pour éviter l'afflux touristique de la station de ski. Si l'aventure te tente, donne-moi une date d'arrivée et je préparerai tout en conséquence.

Dans l'attente de te lire,

Ton ami,

Thomas Beauval

Le style d'écriture un peu pompeux ne me surprit pas. Thomas avait toujours été un peu comme ça. On venait tous de familles moyennes, mais il avait toujours voulu se démarquer. Avoir l'air plus érudit.

Il y avait en post-scriptum de la lettre une adresse à laquelle répondre. Il s'agissait d'une boîte postale à Courchevel. J'en conclus que La Poste devait avoir des difficultés à desservir les villages les plus perdus de ces régions montagneuses.

Je ne mis que peu de temps à me décider. Le lendemain, ma réponse partit à destination de mon vieil ami, que je me réjouissais déjà de revoir après tant d'années. Durant les deux semaines d'attente de sa confirmation, les souvenirs de collège et de lycée revinrent investir mon quotidien tels les fantômes d'une vie passée.

Finalement, le courrier tant attendu arriva la deuxième semaine d'avril. Ce serait donc pour le 5 mai. Dans sa lettre, Thomas me donna plusieurs conseils pour l'itinéraire, et me rappela de prendre tout mon attirail de randonnée. Les températures et le relief promettaient de sacrées balades et des panoramas à couper le souffle.

Il faisait mention de son village, Dôme-Alvin, et de la force de vie qui y régnait. Cependant, pas moyen de le localiser sur une carte. J'avais tenté de le rentrer sur Google Maps et sur mon GPS, en vain. Tom me mettait en garde à propos de l'isolement de son petit hameau, mais tout de même. On est en 2018.

Enfin, quoiqu'il en soit, il précisait dans sa lettre : « On viendra te chercher à la gare routière de Courchevel ». D'ailleurs, ce « on » me laissa penser qu'il avait enfin trouvé chaussure à son pied, ce qui me fit sourire à la lecture.

Le lendemain, je prenais mes billets de train et posais congés pour deux semaines en prévision de mon périple. Jusqu'à la date du départ, mes nuits furent écourtées par l'excitation de revoir un ami précieux, mais aussi par le frisson de l'inconnu. Thomas, c'était un marrant mais aussi un grand solitaire. S'il était parti là-bas, c'était pour s'éloigner de tout : le bruit, les cris, la surconsommation. La société en général, quoi.

Chaque soir, la tête sur mon oreiller, mon cerveau fonctionnait à plein régime telle une machine à fantasmes. Quel était le quotidien de ce doux rêveur de Beauval ? Élevait-il des chèvres, comme il l'avait souhaité ? Et puis à quoi ressemblait ce mystérieux village de Dôme-Alvin, dont on ne trouvait trace nulle part ? J'imaginais déjà les étourdissantes étendues aux sentiers escarpés, où le moindre faux pas pouvait être synonyme de chute mortelle.

Après toutes ces années de train-train quotidien, la perspective d'un tel voyage était une réelle bouffée d'oxygène, une bouée de sauvetage sur un océan immobile, un fixe d'adrénaline injecté directement dans les circuits amorphes de mon cerveau.

Une semaine avant le départ, mon sac était déjà prêt.

Ceux du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant