Le jour où j'ai disparu

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Le jour où j'ai disparu, tout m'a semblé s'écrouler sous mes yeux. Mes amitiés, mes amours, mon identité. Mon monde.
J'avais le sentiment d'avoir tout perdu.
Empli d'une ancienne solitude, j'ai pris, mes clics, mes clacs et mon sac à dos, et je suis parti. Où ? Aucune idée. Là où mes pieds me portent.

À la sortie du lycée  tout le monde sait où se diriger, sauf peut-être moi, mes écouteurs vissés aux oreilles, My Chemical Romance hurlant à travers.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Je prends un chemin habituel, passe devant le centre commercial. Je pourrais faire les magasins, mais à quoi bon, je vais disparaître.
Mes yeux rencontrent un visage connu, une amie, ma cousine. Peut-être sera-t-elle la dernière personne à pouvoir me reconnaître.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Je tombe sur une épicerie et y entre. Un endroit connu, encore. L'idée me vient de boire  pour oublier et d'acheter une bière ou un flash d'un alcool ou d'un autre, mais je sais que je le regretterais avant de disparaître. Je me rabat sur une canette de boisson énergisante de basse qualité et un paquet de Kinder Bueno. Je paye et reprend ma déambulation.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Soudain, mon téléphone vibre. Un message. Une réponse négative à un appel à l'aide subtil. Ma seule porte de sortie se referme. Je continue d'avancer.

Là où le vent me pousse, là où mes jambes me portent.

J'ouvre ma canette. Le goût n'est pas si mal, je m'attendais à bien pire. De quoi me tenir compagnie dans mon voyage. Les paysages deviennent de plus en plus flous autour de moi, je m'engage dans des rues jusqu'alors inconnues, passe devant cet endroit qui m'a refusé un travail, devant ce magasin toujours fermé dont je n'ai jamais vu l'intérieur. Mon instinct me guide plus que ma raison.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

La musique s'accorde à mon état d'esprit, me donnant l'impression d'être un personnage de film. Ma canette se vide petit à petit, au rythme de mes pas dans les vieilles rues de la ville.

La où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Je rencontre de moins en moins de passants, mais le peu que je croise semblent changer de trottoir à mon approche. Je m'assoie dans un abribus le temps de refaire mon lacet défait. Pas pratique de disparaître avec des Doc Martens. Dans l'abribus, une affiche avec des animaux annonce un spectacle pour enfant, et poussent des souvenirs insignifiants à refaire surface dans mon esprit. Mes lacets sont refaits, je reprends ma marche.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Je passe devant la préfecture. Pourquoi ne pas y entrer après tout, avec mon look d'ado anti-système ? Mais mes pieds continuent d'avancer et m'amènent dans une nouvelle rue, en descente cette fois-ci, ma canette toujours à la main.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Au loin, deux personnes marchent. Je suis sûr de ne pas les connaître, pourtant les larmes me montent aux yeux tant ils ressemblent à mes proches. Je tourne dans une petite rue pavée avant d'éclater en sanglots.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Une arche en pierre surplombe la rue, comme un tunnel vers un autre monde. En espérant que ce soit le cas, je passe de l'autre côté. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Seul un squatteur me regarde à travers la vitre de la maison qu'il occupe. Pris d'un sentiment de malaise, je me dépêche de sortir de la rue.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

La petite rue débouche sur une grande place sur laquelle une grande structure est installée, probablement pour le spectacle pour enfant sur les animaux. On me jette des regards en biais, mais je n'en tiens pas compte et avance toujours tout droit, ma canette à la main, replongeant dans une autre de ces rues étroites.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Je tombe sur un banc et en profite pour ouvrir mon paquet de Kinder Bueno. Je croque dans le biscuit et finit d'un trait ma canette avant de ranger ma canette dans mon sac et de reprendre ma route.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Une légère confusion s'empare de moi. Où suis-je ? Que suis-je en train de faire, mon dieu, que suis-je en train de faire ? Pourquoi ? Pourquoi pourquoi pourquoi ? Mais maintenant que j'en suis là, je ne peux plus revenir en arrière.

Là où le vent me pousse, là ou mes pieds me portent.

J'arrive encore sur une place. Tout se ressemble dans cette ville. Je suis déjà venu ici. C'est ici que j'ai passé une heure, sur un banc, avec mon petit-ami, à discuter, rigoler, s'embrasser. Mais quand j'arrive, le banc est pris. Tant pis.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Je m'installe sur un bloc de pierre et observe les gens passer. Une petite fille en trottinette. Un homme qui nourrit les oiseaux. Deux femmes faisant du shopping. Un homme avec son fils d'un an. Eux vivent leur vie, tandis que moi je disparais.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Suis-je vraiment en train de disparaître ? Ou est-ce moi qui aimerais que ce soit vrai ? Car après tout, je suis toujours là. Deux bras, deux jambes, mes écouteurs vissés aux oreilles et mon look d'ado anti-système. Si je suis encore là, qui m'empêche de réparer ce qui cloche dans ma vie ?

Moi-même.

Là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent.

Mais maintenant, le vent m'incite à retourner chez moi et mes pieds sont d'accord avec ça. Pourquoi ne pas les écouter et aller là où le vent me pousse, là où mes pieds me portent ? Ma disparition a duré près de deux heures et personne n'a semblé s'en rendre compte à part moi. Néanmoins cette disparition m'a semblé bénéfique, j'avais besoin de disparaître le temps de réfléchir, alors pourquoi ne pas disparaître une prochaine fois ?

Le jour où j'ai disparuМесто, где живут истории. Откройте их для себя