Chapitre 4

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« Un jour, toi aussi tu me raconteras ton histoire. »

Les mots d'Ethan tournent en boucle dans ma tête tandis que mon reflet, dont le mascara dégouline, me nargue dans mon étroite salle de bains.

Je me doutais que ce moment viendrait. Celui où mon ami souhaiterait un retour de révélations, signe de confiance mutuelle. Mais je n'ai pas pu. Trop tôt, trop dur, trop tout... Heureusement, Ethan s'est montré compréhensif, même si sa dernière phrase prouve qu'il attendra le temps qu'il faudra, certes, mais il ne lâchera pas. Quelle hypocrite je fais, quand on y pense. Je l'ai écouté me parler de lui des heures durant, j'ai encouragé le désir de son ami à déverser sa souffrance par écrit alors que je suis moi-même incapable de faire l'un ou l'autre. Tétanisée rien que d'y songer. Faire le récit ma vie à voix haute impliquerait de l'accepter, la coucher sur papier d'en laisser une trace indélébile.

Face à mon miroir, après avoir ouvert les vannes une fois la porte fermée, je fais le douloureux constat que seuls mes cheveux décolorés, retombant avec souplesse sur mes épaules, nous différencient aujourd'hui. Je ne vois plus qu'elle à travers mes yeux embués du même bleu azur, entourés de longs cils. Mes lèvres pleines, mes traits fins – malgré des pommettes saillantes – et mon nez légèrement retroussé accentuent notre ressemblance, quand les sillons noirs laissés par mes larmes ne me rappellent que trop celles qu'elle a pu verser. Ces images m'insupportent au point de ne plus retenir le cri rageur qui sort de ma bouche au moment où mon poing vient s'écraser sur la glace.

STOP !

— Qu'est-ce qui se passe Lucie ? Lucie ? Réponds-moi !

Ethan ? Je croyais pourtant avoir fermé à clé... Merde ! J'essuie du revers de ma manche les séquelles de mon chagrin visibles sur mes joues et entoure d'un mouchoir celles de ma colère avant de le rejoindre dans le salon.

— C'était quoi ce bruit ? Je t'ai entendu crier, tu t'es fait mal ? Lucie, parle ! hausse-t-il le ton face à mon hébétude.

Mon regard encore flouté de souvenirs passe de lui à ma porte entrebâillée, pour revenir se poser sur lui tandis qu'il place ses mains sur mes épaules. Ce tour d'observation et la chaleur de ses paumes me permettent de reprendre une certaine contenance.

— T'as oublié quelque chose ? lui demandé-je simplement.

Il s'écarte de moi en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire et se frotte le visage comme pour mieux comprendre la situation.

— On s'en fout de ça, bordel ! Je suis parti depuis quoi, dix, quinze minutes, au max. Je remonte chez toi et... j'entends ce bruit, ton hurlement ! Et tu t'es vue ? Tu vas me dire ce qu'il se passe à la fin ? insiste-t-il en faisant les cent pas, me regardant à peine lorsqu'il pointe un doigt sur moi.

Machinalement, je baisse la tête et n'ose pas imaginer ce qu'il doit penser en me découvrant les cernes exposés, le blanc de l'œil écarlate, mon poing emmailloté maladroitement et ma mine des grands jours...

— Ce n'est rien Ethan, le Mojito devait être trop costaud, je suis tombée dans ma salle de bains. Elle est minuscule, alors... voilà.

— Mouais... Et bien sûr, s'il y avait autre chose tu me le dirais, n'est-ce pas ?

— Ethan... je suis désolée que tu te sois inquiété pour moi, mais ça va. Plus de peur que de mal. Et donc, tu as oublié un truc ? esquivé-je sa question.

— Oui, mon téléphone, répond-il sèchement en s'approchant de ma table basse.

Je m'en veux de le tenir à l'écart de ma pathétique existence, mais pas ce soir, pas comme ça. Il saisit son portable et s'apprête à quitter les lieux sans un au revoir quand je le retiens par le bras.

— Ethan, je suis vraiment désolée. Oui, un jour je te raconterai tout, tu seras même le premier à l'entendre, je te le promets.

Fuyant toujours mon regard, je le sens tout de même se détendre, j'en profite alors pour m'approcher, me hisse sur la pointe des pieds et dépose un baiser sur sa joue râpeuse. Surpris par mon geste et mes paroles, mais visiblement conscient de ma sincérité, il m'entoure de ses bras et après quelques secondes me glisse à l'oreille un « je sais » rassurant avant de partir.

De nouveau seule dans mon cocon, je décide d'effacer toutes traces de cette soirée. Non pas que je veuille oublier ce qu'elle m'a apporté : un ami, mais remettre de l'ordre me permettra de n'en garder justement que le positif. Je commence par le plus désagréable, à savoir ma salle d'eau. Avant toute chose, je ramasse les quelques morceaux de miroir brisé, cotons farcis de maquillage et autre mouchoir en boule. Je tourne et vire entre lavabo, douche et toilettes, et fais place nette très rapidement, malgré le bazar que j'ai été capable de mettre dans ces quatre mètres carrés. Une fois satisfaite du résultat et mes blessures pansées, je regagne la pièce principale en traversant le petit couloir qui dessert la pièce d'où je sors et l'unique chambre dont je dispose. Ici, et bien que nous n'ayons été que deux à trinquer, règne une ambiance de fin de soirée d'étudiants. J'exagère un peu, mais les verres, bouteilles et autres plats qui traînent témoignent de notre laisser-aller.

Je récupère un sac poubelle dans ma kitchenette séparée du salon par un plan de travail, rehaussé et faisant office de « fourre-tout », sur lequel clés, PC portable et courriers non lus ont élu domicile en plus de ma cafetière. Là encore, pas de fioritures, l'espace ne s'y prête pas et je ne suis pas du genre à m'encombrer de choses futiles. En revanche, en m'installant dans ce semi-meublé, je ne concevais pas d'évoluer dans un univers monochrome. J'ai donc conservé les meubles et les électroménagers blancs, mais me suis permis une touche de fantaisie en peignant les murs de cette partie de mon appartement d'un bleu canard que j'affectionne particulièrement. J'ai d'ailleurs réussi à dénicher de jolis coussins de même teinte qui ressortent parfaitement sur mon canapé anthracite, ainsi qu'un grand tapis à dominance de bleu et jaune moutarde, ajoutant la couleur qu'il manquait à ce logement immaculé.

Je jette, range, nettoie au rythme de mes pensées qui s'apaisent avant de retrouver, enfin, le calme après la tempête.

PS : Everything is (not) fine (premiers chapitres non corrigés)Where stories live. Discover now