Chapitre 3

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La mise au point faite avec Ethan, nous avons tous deux repris le cours de notre journée, que dis-je, de la semaine. Après réflexion, je crois que je n'aurais pas besoin d'user de stratagème pour qu'il se confie, il me semble prêt. D'ailleurs, il a lourdement insisté pour que nous programmions au plus vite une soirée « amicale ». Et cette soirée, c'est maintenant ! Je ne peux pas nier mon appréhension, autant je n'ai aucun problème avec le fait de recevoir les confidences, mais pour l'inverse, j'ai encore du chemin à faire. Je croise donc les doigts pour qu'il ne soit pas trop gourmand.

Voilà une heure que je m'active en cuisine, ce dont je n'ai pas l'habitude – du tout ! –, quand la sonnette me ramène à la réalité. Ni une ni deux, je coupe le gaz sous mes crevettes flambées et file ouvrir la porte.

— Dis donc, ça sent bon ici ! remarque Ethan encore sur le seuil de mon antre.

Il faut dire que je ne me suis pas ménagée, pour une fois que je reçois ! Non pas que je vive en ermite, mais de manière générale, je sors plus que j'invite.

— Merci, j'espère que le goût sera au rendez-vous. Entre, je t'en prie.

— Je suis passé à la supérette du coin prendre quelques rafraîchissements, me dit-il en posant son sac cabas.

— Quelques ? Tu plaisantes ! Y a de quoi souler la moitié de la ville avec tout ça ! m'exclamé-je en découvrant ses emplettes.

— On n'est pas obligé de tout boire, hein, mais ça te décoincera, tu as l'air un peu crispée.

— Je n'ai pas souvent de visite, alors... Ceci explique cela. Allez, prenez place cher ami, annoncé-je d'un ton qui se veut snob, en pointant mon sofa.

Tandis qu'il s'exécute, je jette un œil dans son sac et en sors un pack de bières, choix qu'il valide, « pour commencer » comme il dit. Je l'abandonne rapidement pour rejoindre ma kitchenette – très fonctionnelle malgré sa superficie ridicule –, d'où je le regarde, lui, si grand et taillé pour intégrer une équipe de rugby, une image qui détonne avec sa douceur. Ethan, en plus d'être attentif et généreux, est plutôt bel homme, j'aurais d'ailleurs pu me laisser tenter s'il avait été attiré par les femmes, mais la question ne se pose pas. Je me saisis des crevettes et feuilletés au fromage en même temps que je distingue les premières notes de musique choisie par mon visiteur. Quelle bonne idée ! En cas de silences, elle masquera l'inconfort.

À peine ai-je regagné le canapé, munie de mes amuse-bouche, qu'Ethan se lance dans un monologue qui me cloue sur place. Et dire que je craignais les blancs gênants... Il me raconte tout de lui. Absolument TOUT ! De son enfance à Saint-Pierre-des-Corps, près de Tours, à ses études de journalisme au sein de l'EPJT – École Publique de Journalisme de Tours –, en passant par ses tourments d'adolescent à la prise de conscience de son homosexualité. Il en vient finalement à sa rencontre avec ce fameux pote, Raphaël, pompier professionnel de son état, chieur de sa composition, selon ses dires. J'apprends alors que ce dernier n'exerce plus depuis bientôt deux ans, mais Ethan ne s'étale pas sur les raisons de cet arrêt de travail.

— Il a changé s'est reconverti ? ne puis-je m'empêcher de demander.

Déformation professionnelle ou curiosité, je ne saurais le dire...

— Non, du tout. Il a eu un accident dont les séquelles ne lui permettent plus d'assurer ses fonctions. Le SDIS*  lui a bien proposé autre chose, mais quand je te dis que c'est un chieur, je n'exagère pas. Ce mec est le plus buté que je connais ! Donc il refuse en bloc, mais sombre de semaine en semaine.

Il marque une pause, le temps d'engloutir sa bière et quelques hors-d'œuvre, tandis que, de mon côté, je ne peux rien avaler ni le lâcher du regard, abasourdie par tant de sincérité et d'ouverture.

— C'est super bon tes trucs, là, ceux au fromage. Tu manges rien ? me demande-t-il, la bouche pleine.

— Merci, vas-y, fais-toi plaisir.

— Bon, j'en étais où déjà ? Ah oui, la déprime de mon pote, enchaîne-t-il en s'installant plus confortablement.

Il en vient donc à ce week-end « catastrophique » en compagnie de son ami qu'il a fini par surveiller comme le lait sur le feu jusqu'au dimanche tant il s'était alcoolisé la veille. Visiblement, Raphaël supporte mal son nouveau statut de « handicapé » – ce sur quoi, là encore, Ethan ne s'étale pas, laissant libre cours à mon imagination –, mais refuse toute thérapie.

— Et ça, tu vois, je ne comprends pas ! s'énerve Ethan, avant de poursuivre plus calmement ; qu'il soit frustré, perdu face à tout ce bordel, OK ! Mais qu'il ne fasse rien pour se sortir de cet état me dépasse. L'alcool aidant, tu imagines bien que les langues se sont déliées, enfin, surtout la sienne. Et là encore, je n'ai pas tout capté, il a commencé à me parler de ton activité de biographe.

— Hein ? Je ne le connais même pas ce type !

— Je sais. Je veux dire qu'il a abordé le truc au sens large. Après, tu vois bien comment ça se passe, on est amis depuis longtemps, alors on se raconte tout. Je t'ai forcément déjà mentionnée au cours de nos conversations et en le faisant, l'écriture a dû venir sur le tapis. Enfin bref. Au stade où il en est, je ne vois pas en quoi ça pourrait l'aider ! m'explique-t-il en pouffant.

— Détrompe-toi, Ethan, évidemment que ça peut aider ! répliqué-je, vexée.

Je me tends un peu, je dois bien reconnaître que tout ce qui touche, de près ou de loin, à mon activité me fait réagir au quart de tour. Je me jette alors sur ma bière, à présent tiède, et la bois rapidement pour ne rien ajouter que je pourrais regretter. Avec tout ça, je fais l'impasse sur la partie « tu vois bien comment ça se passe », que répondre à cela ? Non Ethan, je ne vois pas à quoi tu fais référence. Oui, faire l'impasse est encore ce qu'il y a de mieux.

— Prends pas la mouche Lucie, je ne dis pas ça pour dénigrer quoi que ce soit, c'est juste qu'il y a du taf avec lui ! Sincèrement, je ne pense pas qu'écrire son histoire apaise ses démons. Du moins, pas sans consulter en parallèle. Jusqu'à preuve du contraire, tu n'es pas psy.

— Pas faux, mais ça vaut le coût de tenter. Tu as la sensation qu'il ne fait rien pour se sortir de sa situation, mais tu réfutes son besoin de partager son histoire. Avoue que c'est contradictoire. Envisager cette démarche montre que les portes sont ouvertes, il veut avancer, si tu veux mon avis. S'il t'en reparle, file-lui mon numéro.

— Bon, si t'insiste, je le ferai. Ne crois pas pour autant que je valide l'idée. Un psy, j'te dis, c'est d'un psy dont il a besoin, conclut Ethan encore sceptique.

Si je ne me retenais pas, je m'en frotterais les mains, un sourire vainqueur plaqué sur le visage, mais je me contenterai d'un autre verre.

« Parfois je pense à toi... »**

— Change-moi ça ! Tout de suite ! ordonné-je en criant depuis la cuisine où je prépare deux Mojitos.

Merde, merde, merde ! Cette chanson... ces paroles...

Calme-toi, Lucie, ce n'est rien qu'une putain de chanson !

— À ce point-là ? Toutes les nanas « normales » aiment Louane, m'interpelle Ethan.

— Pas moi !

— Je savais bien que t'étais pas comme les autres.

* Le Service Départemental d'Incendie et de Secours est un établissement public administratif départemental, composé de sapeurs-pompiers professionnels, de sapeurs-pompiers volontaires et de personnels administratifs et techniques. Il est chargé de mettre à disposition des maires et du préfet les moyens d'intervention nécessaires à assurer leurs pouvoirs respectifs de police en matière de prévention et évaluation des risques de sécurité civile, préparation des mesures de sauvegarde et organisation des moyens de secours, protection des personnes, des biens et de l'environnement, secours d'urgence aux personnes.

**Extrait de Si t'étais là de Louane.

PS : Everything is (not) fine (premiers chapitres non corrigés)Where stories live. Discover now