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Rapport d'enquête - Lt Thiers.

La disparition de mon père. Les secrets de Pont St Esprit. L'enclave américaine. Trop de chemins qui m'attirent vers mon graal personnel.

Pendant tout le voyage en voiture jusqu'à Harbor Hill, je n'ai pas cessé de ruminer silencieusement.

Ernest a bien tenté de briser la glace et je crois que j'ai réussi à passer pour quelqu'un de sympathique à ses yeux, mais il finira par s'apercevoir de beaucoup de choses à mon encontre. Pour l'instant je fais en sorte de ne rien laisser paraître, de jouer le jeu du bon gars, du collègue sympa. Je verrai bien s'il a les épaules pour encaisser certaines vérités. Si c'est le cas, il pourrait être un allié. Sinon, ça sera juste un autre boulet à ma cheville.

Dès que nous sommes arrivés au check point de Harbor Hill, les GI nous ont suivi en jeep jusqu'au commissariat français. Ils ne sont pas entrés, mais nous ont cependant attendu puis suivi une bonne partie de la journée. La dernière fois que j'ai regardé par la fenêtre ils faisaient encore le planton sur le parking.

Au commissariat, nous avons rencontré le divisionnaire local. Il n'a pas eu l'air étonné de nous voir arriver. L'entrevue a été brève. Il n'a pas cherché à se trouver d'excuses pour les deux mois de cafouillage dans l'enquête sur Camilla Kerselec. Il nous a tendu un dossier en nous disant qu'il s'agissait des éléments les plus sensibles du dossier. Que pour des raisons "évidentes" il ne pouvait pas les transmettre par courrier à notre Direction Régionale et que c'était bien que nous soyons là pour reprendre toute l'enquête depuis le début. Au plus proche des faits.

Après l'entrevue, Ernest et moi sommes allés à la cafétaria du commissariat prendre la température et nous présenter aux policiers locaux.

L'ambiance dans l'enclave est tendue. Les flics d'ici sont tous fatigués et ont l'air d'avoir le moral dans les chaussettes. Dans les couloirs, j'entendais beaucoup d'inspecteurs parler très fort en anglais au téléphone, puis jurer une fois le combiné raccroché. On dirait que ça ne se passe pas très bien avec les instances américaines. Qui l'eut cru.

J'ai proposé à Ernest de poursuivre l'après-midi en ville. Pour nous imprégner de cette ambiance franco-américaine.

Même les habitants semblent sur les nerfs. Nous avons vu quelques altercations, vite dissipées par les MP de la marine US. Leur présence est beaucoup plus importante que ce que j'imaginais. De ce que j'ai pu lire dans les brochures de l'office du tourisme, il y a seulement 20 % de citoyens civils américains, mais la répartition dans la population de militaire est d'environ deux tiers américains et un tiers français. Étrange ville que celle-ci, implantée autour d'un immense port militaire appartenant simultanément à deux nations.

Mon grand-père était encore actif dans le deuxième bureau à l'époque du débarquement et de la libération de Toulon. Il m'en a parlé. De ça et d'autres choses. Il s'était toujours méfié des américains. Et de leur capacité à transformer d'anciens ennemis en nouveaux amis. Et inversement.

En fin de journée, nous nous sommes installés en terrasse pour manger dans une petite pension provençale. Poisson grillé succulent.

Nous avons commencé à étudier les pages du dossier.

Qui est Camilla Kerselec ?

Née en 1972 sur l'île de Groix, elle a débuté des études de philosophie à l'université de Brest. Elle était venue en vacances à Harbor Hill chez une amie étudiante rencontrée pendant sa première année. Une certaine Audrey Hayward. Américaine. Fille d'un officier supérieur de l'aéronavale. Très probablement un agent de liaison CIA.

Les deux filles ont passé l'été à explorer les plages, l'arrière-pays et les villages provençaux. Deux jours avant de repartir vers Brest pour entamer leur deuxième année de Deug, Camilla disparaît. Très soudainement. En une fraction de seconde.

Audrey, la seule témoin, précise dans le rapport qu'elle n'a pas vu Camilla disparaître. Elles marchaient toutes les deux dans une ruelle absolument vide, près d'un jardin d'enfant aux pieds d'un immeuble. Audrey s'est penchée pour caresser un chat qui venait de sortir d'un buisson pour se frotter contre sa jambe. Lorsqu'elle s'est relevée après quelques secondes, Camilla n'était plus là.

Audrey n'a absolument rien vu, rien entendu. Les filles n'avaient croisé personne depuis au moins dix ou quinze minutes, il était tard, elles étaient dans une rue piétonne. Pas de passant, pas de témoin. Rien.

Camilla a disparu.

En arrivant à l'hôtel, j'ai fait un salut poli aux GIs dans leur jeep (qui ne m'ont pas répondu mais ont soutenu mon regard très froidement). Le réceptionniste m'a remis un paquet, lourd et épais. En le déballant dans ma chambre j'ai été très étonné de trouver un magnétoscope VHS ainsi qu'une cassette. 

Le Signe JauneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant