Chapitre 2 : Les mains qui ne restent pas croisées dans le lit

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Dennis referme la porte F13. Estelle lui demande la monnaie pour l'achat du lait. Elle récupère l'argent. Elle ne le remercie pas. Ensuite, elle lui fait signe d'aller dans sa chambre. Un peu comme si c'était un chien. Mais Dennis, il a d'abord une question à lui poser. Et elle est vraiment très importante sa demande. Il prend son courage à deux mains et respire un bon coup. Voilà, il se lance. Il lui pose sa question.

– Maman...? C'est quand que j'pourrais avoir un double des clés, pour... pas devoir attendre devant la porte ?

– Quand tu seras en âge ! Et puis on ne dit pas « c'est quand », mais quand est-ce... !

    Estelle craignant que Dennis ramène de « mauvaises fréquentations à la maison » – ce qu'on appelle plus communément de « la racaille » – refuse de lui donner un double des clefs. Aussi, son enfant a pour stricte et formelle interdiction de « trainer dehors ». Il doit patienter sagement devant sa porte et attendre le retour de son maître. Sa mère.

    Estelle scrute Dennis puis fronce sévèrement ses sourcils.

– Tiens... ? Pourquoi t'as changé de T-Shirt ? Il est où celui que je t'ai sorti ce matin ! demande Estelle à son fils.

– Ben... Je... J'trouvais qu'il allait mieux avec mon jean... J'suis pas trop fan de la couleur moutarde, en vrai !

– En vrai ? Ces jeunes, ça ne sait même plus parler français ! Allez ! Ça suffit Dennis ! Tu vas arrêter de faire ton difficile et le mettre tout de même ! Non, mais dis donc ! C'est qui, qui paye ici ? Tu prends ce qu'on te donne, point ! En plus, ça va très bien avec tes cheveux blonds et la couleur noisette de tes yeux... ! Au lieu de penser à des futilités, va plutôt faire tes devoirs ! C'est le brevet qui t'attend cette année ! C'est fini de se tourner les pouces !

    Dennis a compris depuis longtemps qu'il n'était pas le propriétaire de ses goûts. Et encore moins de ses désirs. De par sa qualité de « fils de » – autrement dit, d'enfant – tout ce qui émane de sa bouche, aux yeux de sa mère, n'est que signe de puérilité. De futilité. D'immaturité. En tant que « mère de », Estelle s'est ainsi octroyé le droit de tout choisir pour Dennis. La panoplie est longue. Mais le pire dans tout ça, c'est qu'Estelle s'est aussi autorisé un droit de regard sur ce qu'il a de plus intime. 

    Ce que Dennis a de plus cher, ce sont ses bandes dessinées. Pas les BD érotiques qu'il lit de temps en temps. Celles qu'il crée lui-même. Les textes, les bulles, les dessins, le scénario, le choix des couleurs. Tout. On aurait pas dit comme ça, mais ce petit jeune, c'est un vrai artiste. Malheureusement la mère de Dennis, elle ne voit pas les choses du même œil. Quand elle fouille dans ses affaires et qu'elle tombe sur les dessins de son fils, elle lui demande des justifications. Du genre « Qu'est ce que c'est cette horreur ? », « Dis-donc, où t'as vu ça, toi ? C'est pas de ton âge ! », ou encore « Depuis quand tu t'intéresses à la Lune ? ».

    Si Dennis doit dessiner ses rêves sur papier, faut-il encore que ces rêves soient validés par sa mère. Du coup, ça calme un peu ses ardeurs, au pauvre Dennis.

    Ce soir Dennis compte bien obéir à sa mère et faire ses devoirs. Mais d'abord, il se dirige aux toilettes. C'est l'endroit le plus tranquille de l'appartement. De temps en temps on lui met la pression pour qu'il termine ses affaires, mais au moins il y fait ce qu'il veut, comme il veut. Et surtout, sans qu'on ouvre la porte. La porte de sa chambre, il ne peut pas la fermer à clef. C'est interdit. Estelle doit pouvoir contrôler s'il fait bien ses devoirs ou s'il ne dessine pas trop de "trucs bizarres". Ici, dans les WC, il est peinard, comme on dit. Enfin presque.

    Dennis est prêt. Il ferme la porte à clef des toilettes. Il déverse un épais jet d'urine. Ça fait du bien. Il gémit un peu. Il ne sait pas pourquoi, mais ça lui fait penser à Sara. C'est peut-être parce qu'il tient son sexe entre ses mains. D'un coup, il se reprend, puis relâche tout de suite son membre. À voir la scène, on dirait qu'il tient entre ses mains un serpent venimeux prêt à l'avaler. Mais ça n'est pas à ça, qu'il pense. Il se cogne le front. « Arrête ! Arrête ! » qu'il se répète. Il cherche à fuir le souvenir de Sara. Mais il y'a cette phrase qui l'empêche de trouver le calme et le repos. Ça lui revient en boucle dans sa tête d'ado « T'as déjà posé ta bouche sur... des lèvres... Enfin... j'veux dire... des vraies lèvres...? ».

    Il revoit Sara. Ses lèvres de corail, ses cheveux bruns aux reflets acajou, sa petite robe rouge, sa peau brune et dorée. Son air malicieux et l'intensité dans son regard d'émeraude. Dennis pense qu'elle a un âge proche du sien, mais quelque chose dans son attitude lui donne plusieurs années de plus. C'est très étrange. Et qu'est ce qu'elle sent bon ! Au moment où Dennis pense à ça, il se sent tout émoustillé. Mais pas pour longtemps. Quelqu'un tape à la porte des WC.

– Oh ! T'en as pour longtemps, là dedans ?

    Dennis reconnaît la voix de son beau-père. C'est Gilles. Le mec toque encore. Comme un bourrin cette fois.

– Oh ! La pignole, c'est pas à cette heure-ci qu'il faut la faire ! dit Gilles en se marrant.

    Dennis a l'habitude de recevoir ce type de mots doux de la part de son beau-père. Gilles aime bien jouer au mâle alpha. C'est le genre de mec qui pour se faire pardonner sort des blagues douteuses ou offre des cadeaux. Il en offre beaucoup à sa femme. Et ça, ça plaît beaucoup à Estelle. Se faire traiter de « déchet » ou de « mongolienne », ça vaut bien quelques bijoux ou voyages d'après elle.

    Dennis essuie la petite goutte qui pend de son gland. Il se lave vite fait les mains, puis ouvre la porte des toilettes. C'est un homme au visage quelconque – plat, fade, assez laid – qu'il rencontre de l'autre côté de la porte. Gilles. Kevin est derrière lui. C'est le demi-frère de Dennis. Un petit brun, légèrement grassouillet aux yeux aussi noisette que lui. Mais plus grands. Et lui, c'est le préféré de la « famille ». Il a dix piges. Et là tout de suite, Kevin et Gilles rentrent d'un match de foot, alors c'est l'heure de la douche. C'est vrai que ça sent le fauve mais on ne sait pas pourquoi, ils aiment bien la prendre ensemble. La douche.

    Estelle les rejoint. Pas dans la douche. Dans le couloir. Devant la porte des toilettes. Elle roule une pelle aux bourgeons de lèvres toujours en attente de croissance de Gilles. Puis, elle embrasse Kevin sur son front. Après elle se dirige en cuisine et dit « Je vais préparer le repas ! ». Elle a très envie de s'inspirer de quelques recettes tirées de sa lecture du jour. Le magazine féminin qui parle de la salade et des kilos en trop. 

    Une fois le repas terminé, Dennis va dans la salle de bain se brosser les dents, pisser un dernier coup et de loin, dire bonne nuit à tout le monde. Après il fonce dans sa chambre. Il pense encore à Sara. Et ça l'agace. C'est que Dennis ne connaît rien aux choses de l'amour. Jamais, pas même en maternelle, il n'a posé ses lèvres sur celles d'une fille. Ni sur celles d'un garçon d'ailleurs. Il n'a jamais serré dans ses bras quelqu'un qu'il désire. Il est trop timide pour ça. Les garçons ça ne l'attire pas, et les filles ça fait trop peur. Surtout quand elles sont aussi jolies et sûres d'elles que Sara.
   Bien que de nombreux jeunes de son âge se sont déjà bien renseignés sur le sujet – que ce soit au niveau théorique ou pratique – Dennis, lui, il a trop honte. Il n'assume pas. Il regarde bien de temps en temps ses BD érotiques et tente même ses propres dessins, mais jamais il n'ose faire autre chose. Sur du papier, c'est beaucoup moins angoissant qu'en vrai. Et puis pour Dennis, regarder des images les mains croisées, c'est bien.

    Pourtant, ce soir, bien qu'il eût préféré éprouver du dégoût pour Sara et pour tout ce qu'elle représente à ses yeux, Dennis n'en est pas moins irrésistiblement attiré par elle.

    Sara le fascine. En plus de cette exquise odeur d'ambre, cette délicieuse petite brune dégage une mystérieuse aura. C'est si puissant que le pauvre Dennis ne peut pas faire grand chose d'autre que d'y penser. Et il y pense beaucoup.

    Malgré lui, il se laisse éveiller à des sensations qu'il avait jusque-là enterrées dans les sombres et profondes ténèbres de la honte et des interdits. 

    Dennis brûle de désir dans son lit. Il fait chaud. Terriblement chaud. On est au mois de septembre. Dans le Sud-Est de la France. Sans climatisation. Obligé de laisser la fenêtre ouverte, d'entendre les cigales gueuler la journée et de laisser quartier libre à tous ces moustiques tigres qui pullulent ici jusqu'en octobre. Surtout le soir. Dennis vient d'ailleurs de se faire piquer. Il ne se défend pas. Ils peuvent bien pénétrer sa cuirasse, lui sucer un peu de sang, lui faire pousser quelques boutons de plus. Tout ça n'est que du vent. De l'air chaud. Lourd. Comme à l'approche d'un orage prêt à éclater.

    Dennis ne va pas fermer l'œil de la nuit. Et cette fois, ses mains en feu, ne resteront pas croisées non plus.

    Voilà, ça y est. C'est parti. Dennis en a plein les doigts.

Sara. Ses yeux ils... (roman érotique | éducation sexuelle | newadult / drame)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant