CHAPITRE 1

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La porte s'ouvre dans un grincement et me tire loin de mes pensées. Sur le pas de la porte, les trois adultes échangent quelques mots que je n'entends pas. C'est la première fois que mes parents sont convoqués au lycée. Habituellement, ils sont toujours prévenus de mes conneries par téléphone. Cette convocation n'est pas anodine et je risque bien plus gros que d'habitude. Je n'ai jamais changé mon comportement malgré tous les avertissements. Malheureusement, mes regrets n'apparaissent que maintenant, alors qu'il est trop tard. 

Je me lève machinalement et rejoins mes parents. Mon père a le visage fermé et aucune émotion n'y est visible. D'aussi loin que je me souvienne, il a toujours été doué pour ne rien laisser paraître. Ma mère, quant à elle, a les joues rouges et les sourcils froncés. La colère qui émane d'elle est flagrante mais elle m'est surtout destinée et c'est ce que je redoute le plus. Mes parents saluent le principal et longent les murs gris jusqu'à atteindre la sortie. Je leur emboîte le pas après avoir murmuré un simple « au revoir » au principal. Le chemin jusqu'à la voiture dure une éternité. Mon regard parcourt les murs recouverts d'affiches et le carrelage vieillot. En passant devant une issue de secours, je songe à disparaître. Mais à quoi cela me mènerait-il ?

Mes parents sont déjà installés dans la voiture lorsque j'y monte. Mon père démarre en trombe et roule en direction de la maison. Le silence est pesant et je n'ose pas prendre la parole. La tête appuyée contre la vitre, j'observe le paysage qui défile et les groupes d'enfants dont je jalouse l'insouciance.

Les portières qui claquent me ramènent à la réalité. Sans grande envie, je descends de la voiture et franchis la porte de la maison, redoutant d'ors et déjà les foudres prêtes à s'abattre sur moi. Je parcours discrètement le salon, fuyant mes bourreaux. Je n'ai aucune idée de l'endroit où ils sont mais tant que je suis loin d'eux, j'ai la vie sauve. Je profite que le rez-de-chaussée soit désert pour rejoindre la cuisine. Ma gorge est sèche, à tel point qu'elle me brûle. J'ai le besoin de boire des litres et des litres d'eau. J'attrape une bouteille d'eau et parcours le chemin inverse, jusqu'aux escaliers.

- Quand est-ce que tu cesseras tes conneries, Enora ? s'égosille ma mère lorsque j'atteins la première marche. J'en ai marre de ton comportement !

- Cette fois, tu t'es bien mise dans le pétrin ! continue mon père.

J'ouvre la bouche avec la volonté de répondre quelque chose mais je me rétracte. C'est inutile, ils ne m'écouteront pas.

- Félicitations, tu es définitivement renvoyée ! ajoute ironiquement ma mère.

- Oh, je...

Je ne sais pas quoi dire. Ce renvoi n'est pas une surprise, au contraire. J'ai toujours su que mes conneries me mèneraient à ce renvoi et bingo ! Du coin de l'œil, je fixe mes parents. Ma mère, une marche en-dessous, me dévisage de son regard le plus mauvais. Quant à mon père, il est debout devant la porte d'entrée, les bras croisés. Je remarque à quel point ils sont déçus, et encore plus que d'habitude. Mais quand est-ce qu'ils ont été fiers de moi, hein ? D'aussi loin que je m'en souvienne, jamais.

- Il est temps d'avoir une conversation, intervient mon père en se dirigeant vers le salon.

Machinalement, je le rejoins au salon tandis que ma mère me suit de près. Elle redoute probablement que je prenne la fuite. Tous les deux s'assoient sur le canapé. Je ne sais pas où me mettre. Je parcours le salon des yeux, me demandant où est ma place. En réalité, il y a longtemps que j'ai pris conscience de ne plus avoir ma place auprès d'eux. La seule chose à laquelle ils accordent de l'importance est le travail. Le travail, le travail et encore le travail ! Alors pourquoi aujourd'hui est différent ? Pourquoi s'intéressent-ils soudainement à moi ?

L'esprit ailleurs, je m'assois dans le petit fauteuil rouge qui traîne dans un coin du salon depuis quelques années déjà. Les pieds sont un peu bancales mais je ne m'en préoccupe pas.

- Alors ? demandé-je, pressée d'en découdre.

Mon père se lève et parcourt le salon de long en large. Il croise les mains derrière le dos et baisse la tête vers le sol, semblant pensif. La tension est insoutenable. Je n'ai qu'une envie, me réfugier dans ma chambre.

- Ces dernières temps, ton comportement a radicalement changé. Je ne sais plus quoi faire de toi. Tu es devenue insupportable, Enora !

Quelques secondes silencieuses s'écoulent.

- Il est temps que tu reviennes sur le droit chemin, continue mon père. Lundi matin, je t'emmène à l'internat.

Il a parlé... d'internat ? Mon cerveau disjoncte.

- À l'internat ? C'est quoi ce bordel ?

Mon rythme cardiaque s'accélère. Aucun des deux ne réagit. Je me lève vivement, renversant le vieux fauteuil rouge.

- Il en est hors de question !

- Tu n'as aucun mot à dire là-dessus, Enora ! s'exclame ma mère, toujours aussi colérique.

Elle se lève et se réfugie aux côtés de mon père. Mes parents me toisent d'en face, me donnant l'impression d'être ligués contre moi. Je suis seule contre eux, seule contre tout le monde. La simple pensée de l'internat m'angoisse. Généralement, lorsqu'un élève est renvoyé, il est affecté dans un autre établissement pour avoir la possibilité de finir son année scolaire. Parfois, c'est aussi pour avoir la chance de passer ses examens de fin d'année.

- Mais...

- On ne te demande pas ton avis, Enora. Lundi, tu iras à l'internat.

Je n'aurai jamais cru possible d'être affectée dans un internat. Pourquoi un internat ? Et pourquoi pas un lycée ? De plus en plus de questions m'assaillent. J'ai toujours cru être envoyée dans un autre lycée en cas de renvoi. Malheureusement, ce n'est pas le cas.

- C'est le lycée qui a voulu que j'aille dans un internat, ou c'est vous ?

- Le lycée a fait une proposition et autant te dire qu'entre un lycée et un internat, le choix a été facile, déclare mon père en se dirigeant vers la cuisine. Ton dossier scolaire sera transféré cette semaine, au plus vite.

C'est sa seule réponse, il ne dit rien de plus. Ma mère, elle, s'approche. Elle paraît plus calme mais je reste méfiante.

- Tu sais, l'internat sera probablement ce qu'il y a de mieux pour toi. Ce n'est pas plus stricte qu'un lycée mais au moins, tu y seras davantage encadrée.

- Et elle sera loin de ses mauvaises fréquentations ! lance mon père depuis la cuisine.

Je préfère ne pas répondre au risque d'être désagréable. Je ne supporte plus leurs piques. D'un pas lourd, je les abandonne et me dirige vers les escaliers. Il est temps que je rejoigne ma chambre.

- N'oublie pas de faire ta valise pour lundi !

J'ignore mon père et monte à l'étage. Lorsque j'ouvre la porte de ma chambre, je suis ravie de revoir le seul endroit où je me sens à ma place. Enfin, pas le seul, l'autre étant la maison de mes grands-parents. À l'époque, lorsque mes parents se sont entièrement consacrés au travail, je me suis rapprochée de mes grands-parents. Pour ainsi dire, ils se sont occupés de moi durant une grande partie de mon adolescence. J'ai grandi à leurs côtés et je remercie le ciel de m'avoir offert des grands-parents aussi extraordinaires qu'eux.

Je m'effondre sur mon lit aux draps bleus et fixe le plafond. Je pense à cet internat qui ne me présage rien de bon. Est-ce qu'il est loin ? Est-ce que ce sera l'Enfer, là-bas ? De nombreuses questions me préoccupent. Bien que je redoute d'y être, je suis assez soulagée de partir loin de mes parents et de la mauvaise ambiance qui erre dans cette maison.

Le plus difficile sera d'être loin de mes grands-parents. Je ne suis jamais restée éloignée d'eux. Ils sont âgés et fragiles, et la simple idée d'être loin d'eux pendant quelques temps m'angoisse. Je me promets de les appeler aussi souvent qu'il me le sera permis.

- Quelle journée de merde..., soufflé-je en fermant les yeux.

Un peu d'espoirWhere stories live. Discover now