PROLOGUE

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L'affiche placardée sur le mur me renvoie l'image d'un spectacle de cheerleaders. Chacune de ces filles sourit, dévoilant de belles dents blanches alignées. Ce détail, aussi futile qu'il est, attise ma jalousie. Même si je rêve secrètement d'avoir des dents aussi belles que les leurs, c'est davantage leur sourire et leur joie de vivre que j'envie. Le pétrin dans lequel je me suis fourrée m'empêche d'être sereine et de sourire autant que ces filles.

Pour la énième fois, je jette un coup d'œil en direction de la porte face à laquelle je suis assise. La plaque qui y est accrochée arbore le nom du directeur, monsieur Leroy. Il occupait déjà ce poste lors de ma première année au lycée et je me doute que ses années d'expérience l'ont conduit à gérer des situations plus insensées les unes que les autres. Pour cette dernière année de lycée, il a probablement espéré que je me calme et m'assagisse. Il s'avère que ses espoirs ont été réduits à néant, la preuve étant la simple présence de mes parents dans son bureau.

Je m'impatiente, à tel point que mes jambes entreprennent des soubresauts que je ne contrôle pas. J'ai encore merdé, et je sais que c'est la fois de trop. Jusqu'ici, je m'en suis toujours sortie avec des heures de retenue ou des exclusions temporaires, mais jamais rien de plus grave. Seulement, aujourd'hui est différent. Dès lors que la porte s'ouvrira, les choses ne seront plus jamais comme avant.

Je me remémore le cours de l'après-midi, tentant de comprendre comment la situation a dégénéré aussi vite.

- Ouvrez vos livres à la page 49, s'il vous plaît !

Monsieur Chaubon arpente la salle de long en large, sifflant d'autres consignes d'une voix grave. Chacun suit ses directives, malgré une profonde paresse. À l'ordinaire, le français est une matière que j'apprécie. Du moins, quand le professeur est à la hauteur de mes attentes. Autant vous dire que ce n'est pas le cas avec monsieur Chaubon. Ses cours pourraient réellement être intéressants si cet homme au crâne dégarni fournissait un travail digne de ce nom. Malheureusement, ceux qui sont en difficulté ne progressent jamais et pour cause, notre cher Chaubon ne s'en préoccupe pas. Les cours de français se déroulent toujours de la même manière : Chaubon et ses nombreux diaporamas qui n'apparaissent que quelques secondes.

Personne ne prête attention au résumé que lit Chaubon. Certains dessinent sur les tables et d'autres pianotent discrètement sur leur téléphone. Mon regard dévie sur ma table où est maintenant dessiné ce qui ressemble à un visage, avec un nez difforme et des yeux ronds comme des billes.

- Antoine, ton téléphone ! réclame Chaubon, la main tendue.

Antoine refuse obstinément. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été dans la même classe que lui. Il n'a jamais été bon élève et a toujours préféré faire des conneries. C'est devenu une habitude chez lui et plus rien ne m'étonne venant de sa part. Il se lève et sa chaise émet un crissement insupportable. Ni une ni deux, il insulte Chaubon et lui rappelle qu'en tant que professeur, il n'a aucunement le droit de prendre le téléphone d'un élève, quelle qu'en soit la raison.

- Continuez votre cours de merde et laissez-moi tranquille ! Il est hors de question que je vous le donne !

Le ton monte entre eux. Tandis qu'Antoine gueule encore, Chaubon perd patience. C'est la première fois que je le vois aussi rouge.

- Ouvrez vos yeux, on s'emmerde tous dans votre putain de cours !

Et c'est le drame. Chaubon empoigne Antoine par la veste et le secoue brutalement. Certains se lèvent, ébahis par la scène qui se déroule dans la pièce. Jamais Chaubon n'avait franchi cette limite.

- Tais-toi ! Tu m'insupportes ! crie Chaubon en resserrant sa prise.

À chaque seconde qui passe, Chaubon secoue Antoine davantage. Je ne suis pas habituée à ce genre de situation. D'habitude, je suis celle qui crée les problèmes. Antoine, d'abord surpris par l'audace de Chaubon, l'insulte encore une fois et le pousse avec une force que je ne lui connaissais pas. Ses yeux d'un bleu profond sont écarquillés et sa bouche est pincée. Chaubon trébuche contre une table mais se rattrape de justesse. Je sais que si je ne les sépare pas, personne ne le fera et les choses iront beaucoup trop loin. D'un pas assuré, je me précipite entre les deux.

- Stop ! Stop, j'ai dit !

- Depuis quand tu te crois médiatrice toi ? Retourne à ta place !

En prononçant ces mots, Chaubon me fixe d'une manière hargneuse. Il m'esquive et fonce en direction de l'abruti que je connais depuis le collège. Alors qu'il le secoue de nouveau, je m'interpose avec force. Les mains tendues de chaque côté, je les pousse et les sépare d'un bon mètre. Chaubon me regarde, les mains ballantes et le crâne suintant d'une fine pellicule de transpiration. Son souffle est tellement bruyant que c'est le seul bruit qui réside dans la pièce. Tous sont silencieux et ne savent pas quoi faire. Les regards vaquent d'un coin à l'autre de la salle et la tension est plus que pesante. Je vérifie que les deux hommes ne se jettent pas encore l'un sur l'autre puis repars en direction de ma chaise, quelques mètres plus loin.

Je souffle longuement et alors que je souhaite m'asseoir, une main m'empoigne durement le bras. Mon membre s'engourdit et j'ai l'impression que mon sang n'y afflue plus. Je pivote légèrement la tête vers la gauche et aperçois une grande main ridée et parsemée de poils foncés. Son appartenance m'apparaît évidente.

- Hé ! me révolté-je en pivotant complétement.

À présent, je suis face à Chaubon. Mon regard est mauvais et j'essaie de lui faire comprendre que son geste ne me plaît aucunement.

- Ose encore une fois te mettre en travers de mon chemin et tu seras directement envoyée dans le bureau du principal, compris ? Je suis l'adulte ici et il est hors de question qu'un élève se mêle de ce qui ne le regarde pas, s'exclame-t-il en s'adressant à tous.

Sa main m'enserre toujours le bras et je me dis qu'il a définitivement franchi les limites. Pas question de me taire, oh que non !

- Et vous, osez encore me prendre le bras comme vous l'avez fait et vous verrez les conséquences, déclaré-je en retirant vivement mon bras, comme si son touché m'avait brûlée.

La politesse n'est pas dans mes habitudes et pourtant, je m'entête à le vouvoyer alors qu'il ne mérite que mon poing dans sa figure. Il est rare que je sois aussi calme avec quelqu'un qui me manque de respect mais je n'ai clairement pas envie d'avoir plus de problèmes que je n'en aie déjà.

- Toujours insolente, à ce que je vois !

Son altercation avec Antoine semble oubliée, la preuve étant qu'il dirige maintenant sa colère vers moi. Je serre les poings et me calme du mieux que je le peux. Inspire, expire. Inspire, expire. Inspire, expire.

- Il est évident que tes parents ne t'ont pas éduquée !

- Ne critiquez pas mon éducation alors que vous ne connaissez rien de ma vie ! vociféré-je en m'approchant de lui. Réfléchissez à la vôtre, plutôt ! Je ne sais pas si vous êtes au courant mais persécuter les élèves comme vous le faites prouve que c'est vous qui n'avez pas été éduqué !

J'ai conscience de ne pas être un modèle à suivre. J'ai plus de défauts que de qualités, je suis toujours froide et je cherche des problèmes là où il n'y en a pas. Parfois, je me demande si mes parents ont honte de moi. Est-ce qu'ils regrettent de m'avoir eue ? Est-ce qu'ils auraient préféré avoir une fille plus douce et plus gentille ? Ce sont des questions que je me pose souvent. Plus jeune, j'étais la fille parfaite à leurs yeux. J'avais régulièrement des bonnes notes et je ne commettais aucune bavure. Malheureusement, les choses ont changé. Du jour au lendemain, mes parents sont devenus distants. Ils se sont créés une bulle uniquement dédiée au travail et s'y sont enfermés, m'oubliant totalement. Un fossé s'est creusé entre eux et moi, c'est indéniable. J'ai longtemps espéré qu'ils réagissent, qu'ils se disent que notre vie familiale n'est plus ce qu'elle était avant, mais ils n'ont pas réagi et ont poursuivi leur train de vie comme si tout était normal. Je me suis renfermée sur moi-même avec l'impression de ne plus avoir ma place auprès d'eux, et puis j'ai commencé les conneries.

Un peu d'espoirWhere stories live. Discover now