6. LES CHRYSANTHÈMES SYMBOLISENT UN AMOUR ACHEVÉ

132 38 42
                                    

L.

je m'aime pas que vous me tutoyez. je ne me sens pas à l'aise avec cette intimité nouvelle, ce bouleversement soudain et irréversible. nous nous attachons bien trop l'un à l'autre — nous pourrions en mourir, vous savez.

ANTON

mais, n'es-tu justement pas venu pour goûter à cette attache et savourer l'ébauche d'une mort ? je sais que tu es venu pour ça ; c'est écrit dans ta voix, ça s'entend dans tes mots. tu es venu pour ça et tu ne repartiras pas sans. il te faut ce résultat, cette preuve à t'apporter. il te faut ce résultat et tu commences à comprendre que je peux te l'offrir. alors, tu me repousses parce que tu doutes ; tu as peur du résultat. parce que si nous sommes proches, enfouis dans cette familiarité que tu méprises tant — parce que tu la désires — peut-être qu'un jour tu parleras de moi comme si j'étais mort. tu m'appelleras A. et tu diras de moi que je t'ai connu sans même te voir.

L. (à demi, avec la tristesse des jours futurs)

je ne veux pas vous appelez A. . je ne veux pas que vous soyez mort.

ANTON

que veux-tu alors ?

L.

je suis venu ici pour me confesser. je suis venu ici parce que je pensais vouloir me confesser. mais, qu'ai-je réellement à confesser ? qu'ai-je déjà confesser ? rien.

ANTON

oui. rien. vous tu n'as à rien confesser ; tu as parlé.

L.

je suis venu ici pour parler.

ANTON (sourit doucement, tendrement.)

je suis ici pour t'écouter.

L. (d'une voix plaintive et exagérée)

êtes vous là pour m'aimer ?

ANTON

je t'aime déjà, L. . j'aimerai te voir.

L.

parlez-moi de vous. peut-être que nous nous verrons après. parlez-moi je vous en supplie. j'ai besoin de compter pour vous ; montrez-moi que je compte pour vous. j'ai tellement besoin de compter pour vous. il faut que je compte pour une personne ; je ne compte jamais pour personne. vous me connaissez mal, vous me connaissez peut-être. vous ne me connaissez que dans le noir, dans mes démons du soir. si on se croisait dans la rue, voudriez-vous me connaître ? si on se croisait dans la rue nous ne nous connaîtrions pas.

ANTON

ce serait d'une tristesse indicible, indélébile. je ne veux plus jamais que nous soyons des inconnus. nous ne méritons pas d'être des inconnus. il y a quelque chose d'infâme dans la frêle possibilité d'être des inconnus ; je nous détesterai de n'être que des inconnus. d'une certaine façon, nous sommes des amants — nous partageons une vie secrète, cachée dans le noir, à l'ombre des regards. je crois que nous sommes des amants, il y a un éclat d'amour dans la façon dont nous nous connaissons.

ils se connaissent ; ainsi soit-il Where stories live. Discover now