Dancin'

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Les projecteurs changèrent subitement de couleur. On vit alors le bleu clair virer au rouge, chaud. Les filles présentes sur la piste de danse surent alors ce que cela signifiait. Aussi chacune d'entre elles vint poser son regard sur les tables rondes qui encerclaient le parquet précédemment martelé par les semelles : on venait de passer de l'électro, tout le monde avait sauté au rythme des basses du morceau. J'étais moi-même parmi ces filles, seul garçon sur la piste, je savais que c'est un slow que l'on allait jouer. Le DJ éteignit ses platines, alors de jeunes gens, sortis de part et d'autre de la scène vinrent sur cette dernière, tous vêtus de la même manière. Chacun s'équipa de son instrument, le chanteur derrière son micro, le batteur derrière ses fûts.

Mon regard fit un rapide tour de la salle. Je le connaissais, le groupe qui jouait ce soir, je veux dire, composé d'anciens amis. Je fis signe à l'un d'eux d'attendre avant d'entamer leur morceau. Et merde elle était passée où ? C'était le moment ou jamais. Puis, mes yeux se posèrent sur une jeune femme. Celle que je devais chaperonner ce soir, ordre de son paternel. Je courus alors, manquant de perdre l'équilibre, m'arrêta brusquement, manquant de la percuter. Essoufflé je lui dis qu'elle devait danser avec moi. Cela ne prenait pas la forme d'une proposition, c'était une nécessité. Je devais danser ce slow avec elle et wow sa robe... Je la pris par la main, l'entraînant vers le centre de la piste, alors je crois avoir lancé haut et fort de façon à ce que le groupe m'entende : "SLOW TIME !" et tous s'exécutèrent. Le guitariste entama le riff, puis le chanteur et le batteur, après un léger coup sur une charleston ouverte, vinrent ouvrir ce morceau : Happy Together de Slothrust.

Imagine me and you, I do

I think about you day and night

It's only right to think about the girl you love

And hold her tight, so happy together

Et, au début, je ne reconnus pas le titre : ils avaient sûrement adapté ce dernier à un slow. Je me mis face à ma partenaire, lui sourit, un peu gêné. Mes mains tremblantes sur ses hanches contrastaient alors avec les siennes, posées sur mes épaules de façon plus assurée. Tous sur la piste de danse se mirent en place, comme nous, et leurs pieds comme animés d'un sortilège connu de tous, se mirent à décrire des carrés sur les planches. Un pas après l'autre, j'avoue ne plus me rappeler la suite exacte, mais je sais que mes jambes ont compris quoi faire, guidées par les siennes. Je baissais les yeux, mes pieds bougeaient bel et bien seuls. La musique, l'ambiance qui régnait, mes lèvres brûlantes, comme si les mots qui me pesaient sur le cœur s'étaient transformés en quelque acide. J'avais le liquide corrosif dans la bouche, qui me rongeait. Je me souviens avoir pensé qu'il n'existait pas de poison tel que l'Amour. Nous dansions, et ce morceau, je le connaissais par cœur. Les musiciens entonnèrent le refrain, seule partie du morceau d'origine qu'ils avaient conservé tel quel, et mon étreinte se voulut plus forte, comme pour trahir le fait qu'il ne fallait pas qu'elle parte. Et j'avais peur car ce soir, ce poison qu'on appelle "Amour', avait rendu cette fille vitale.

Je crois que sa robe était rose, avant que la lumière ne devienne rouge, je veux dire. Je ne saurai dire si c'est l'émotion, mais je l'ai trouvée exceptionnellement belle ce soir. La pièce de tissu était fendue sur le côté droit, ainsi, j'entrapercevais parfois des bouts de sa jambe. Ses épaules dénudées, sur lesquelles reposaient ses cheveux qu'elle avait préparés pour l'occasion, semblaient détendues. Alors mon regard s'est porté sur son visage, et elle me regardait, en souriant. J'eus envie de la serrer fort, et le morceau s'y prêtait bien et la violence de certains passages m'évoquait une passion primaire et animale.

I cannot see me lovin' nobody but you for all of my life

When I'm with you, baby

The skies will be blue for all of my life

J'aurais voulu que le slow devienne valse, j'aurais voulu que nous soyons les seuls sur cette piste ce soir, j'aurais voulu l'embrasser, déverser l'acide qui me brûlait, que nous partagions ce Mal, elle et moi.

Je sentis les larmes monter, et c'étaient des larmes d'Amour qui grignotaient ma peau en ruisselant sur mes joues. Je souffrais, mais son sourire, son sourire était communicatif, alors j'ai souri à mon tour. 

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