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Maman me consacrait de son temps. Je me ramenais dans son bureau, pour lui montrer les dessins que j'avais fait depuis que j'étais petite. Elle ne les avait jamais regardé.

Quand elle vit les œuvres que je lui avais apporté, elle n'en cru pas ses yeux. J'avais les paumes sur la table, debout à côté d'elle, à rire a chaque fois qu'elle lâchait un "c'est pas possible". Elle inspecta tous les dessins d'un œil avisé. Je lui expliquais que celui avec la jardin rempli de fleurs, c'était parce que j'avais vu les hortensias et les belles de nuit dans le nôtre et que j'avais trouvé ça beau. Celui avec l'étang, c'est quand j'avais perdu mon poisson rouge.

Celui avec la grande maison, c'était celle que j'aurai eu avec Adi. Elle resta sur ce dessin en particulier, à scruter les moindres détails. Il fallait dire que je n'avais pas lésiné sur ces derniers. Il y avait, sur le côté, trois chatons qui jouaient ensemble. De l'autre, il y avait une petite rivière.

"- Je ne savais pas que tu peignais aussi bien.

- C'est des années de pratique.

- C'est vrai qu'il y a de l'amélioration vu ce que tu faisais à 5 ans."

Je me mis à rire. Maman reposa le tout et posa son regard azur sur moi.

"- Assis-toi."

Je m'exécutais.

"- Tu étais amoureuse ?

- Ouais. Je crois.

- D'accord. C'est pour ça que ça t'a autant touché ?

- Non. C'est parce que j'ai jamais eu d'amis. C'était la première à me parler depuis le début de l'année. Tu comprends, j'ai presque vécu seize ans d'existence seule. C'est chaud.

- En effet. J'aimerai t'être plus utile mais mon incapacité à ressentir de l'amour pur fait que je suis désolée, je ne te sers à rien.

- T'aimes pas Papa ?

- C'était plus un mariage arrangé. C'était plus simple pour lui comme pour moi et ça ne nous a jamais dérangé puisqu'on s'entend plutôt bien."

Je n'avais jamais vu ma mère s'ouvrir autant. Nous ne nous étions jamais parlé autant. Elle s'était intéressé à mes dessins, c'est pourquoi je poursuivis dans la seconde :

"- Euh, tu sais jouer du piano ?

- Un peu. Je suis pas une pianiste aguerrie mais je me débrouille. Pourquoi ?

- Adi jouait beaucoup de morceaux au piano. J'aimerai en apprendre quelques un.

- Ah, c'est ça que j'entendais tous les jours ? T'as du chemin à parcourir."

Je ronchonnais en levant les yeux au ciel. Maman repassa une boucle de cheveux derrière son oreille.

"- Tu veux que je t'aide à en apprendre ?

- Juste les bases. Après c'est bon."

Elle accepta et je quittais la pièce. J'avais plusieurs appels en absence des parents d'Adi. Ils avaient obtenu mon numéro en fouillant dans le téléphone de leur fille. Je les rappelai, je tombais sur le père.

"- Oui, Svetlana ?

- Oui."

Il avait la voix chagriné, tremblotante. En l'entendant, ma lèvre inférieure trembla elle aussi. J'avais mal au cœur pour ce papa qui avait perdu sa seule fille.

"- Vous êtes toujours d'accord pour nous rencontrer ?

- Oui. J'avais besoin de temps et vous aussi je pense, mais maintenant je suis prête.

- Vous venez aujourd'hui ?

- Si ça vous arrange.

- C'est entendu."

On ne parla pas plus longtemps. Je voulais les voir, voir où et comment Adi avait vécu. Maman m'emmena chez eux. C'était une petite maison de centre-ville, peinte en blanche. Sur un côté de la façade, on pouvait voir des petites traces de mains roses, oranges et bleues. Je souriais. Rien qu'en voyant ça, je savais que c'était Adi qui les avait faites. Adi petite. J'attendis sur le pas de la porte, après avoir sonné. La mère m'accueillit ; elle avait des grosses cernes sous les yeux. Elle me sourit aimablement et me laissa entrer, le visage pâle.

Elle me fit m'asseoir à une petite table, me proposa à boire. J'accepta du thé. Elle posa la bouilloire sur la table après m'avoir servi, et se tourna vers moi.

"- Vous vous entendiez bien, avec ma fille ?

- Oui. Pas trop mal, je pense. Je l'aimais bien.

- Adi nous appelait de temps en temps, elle nous parlait souvent d'une Lana. On a compris que c'était toi."

Elle s'assit devant moi. Elle avait vraiment l'air épuisée mentalement et physiquement. Elle devait en avoir très gros sur la conscience. Toujours aussi silencieuse, elle se leva et s'empara d'un gros livre rempli de photo, qui trônait sur une étagère croulant sous les vieilleries. Elle me le tendit.

"- Je m'appelle Sirane. On ne t'a jamais dit nos prénoms, je pense que c'est essentiel. Mon mari s'appelle Charles.

- C'est joli Sirane, ça vous va bien."

Elle sourit mollement en remettant son chignon noir en place. Ses yeux noirs, comme sa fille, étaient cernés de petites pattes d'oie. Elle respirait la gentillesse et je compatissais de plus en plus avec elle. Sirane referma les pans de son gros pull en laine sur son corps et m'indiqua le bout du couloir.

"- C'était sa chambre. On a demandé aux policiers de ne pas la fouiller avant que tu viennes. On voulait qu'elle reste... Comme avant."

Sirane m'adressa un sourire contrit et se remit au travail, c'est à dire couper pleins de légumes différents pour les mettre dans une grosse casserole d'eau. Je me levais, hésitante, en frottanr les manches de mon sweat. Je me postais devant la chambre d'Adi ; il y avait un petit panneau tenu par une cordelette, où il était écrit "Adi", entouré de fleurs et de petits cœurs.

Je posais ma main sur la poignée en tremblant. J'avais peur.

J'appuyais, et entrais dans la chambre d'Adi.

ՏᏙᎬͲᏞᎪΝᎪ • ᏟϴႮᏞᎬႮᎡ ᏢϴႮᎡᏢᎡᎬWhere stories live. Discover now