Chapitre 5 Lara

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Quand j'arrive au cours de boxe, je suis déjà en tenue. Je fonce direction les vestiaires, determinée. Je jette mon sac et claque le casier plus fort que je ne le voulais. Je passe devant les autres et tandis que Reki fait ma présentation, je suis vraiment ailleurs. Je ne pense qu'à me défouler pour arrêter cette foutue turbine mentale. Je ne sais pas comment extérioriser ce que je ressens autrement. On ne m'a pas appris à faire ça.

- Bon, soyez cool avec elle ok ?

J'entends certains sifflements. En temps normal j’aurais riposté, mais je n’ai pas le temps ni la patience pour ça. Peu importe. Ils ne sont pas importants. On commence avec un petit entrainement pour s'échauffer, puis le niveau d’intensité augmente, ça devient un peu plus hard au fur et à mesure du cours. Je jette un œil derrière moi. La furie est là. Transpirant et violemment bien batti. Trop violent pour mes rétines. Mais je me sens tellement mal... J'ai un poing dans la poitrine ce soir, et je dois réunir toute ma bonne volonté pour me concentrer et me donner à 100 pour 100. Quand vient l'heure des combats, au moment Reki me dit que je ne suis pas obligée de me battre, car je suis nouvelle, je ne l'écoute même pas et monte sur le ring la première, déterminée à voir si je suis vraiment prête à me mesurer à un homme. Après tout, je suis là pour ça, non ? Le mec qui me rejoint est simple, un peu musclé, grand, qui a l’air de prendre ça à la rigolade. Mark, je crois. Il a sûrement raison. J'aimerais prendre ça à la légère moi aussi. Le problème, c’est que je me bats toujours comme si ma vie en dépendait. Et pour ce combat, c'est exactement pareil. Je me bats stratégiquement et méthodiquement. Ce qui fait que le gars se retrouve rapidement en échec, suivi d’un silence de mort dans le club. Le type me regarde comme si j'étais un extraterrestre. Plus personne ne rit. Plus personne ne parle. Il y a beaucoup de moment dans ma vie ou j’ai eu envie de me faire avaler par un dinosaure qui sort de nul part. Ce moment en fait partie. Je regrette immédiatement mon manque d’humilité. Ce combat n'avait rien d'amical. JE n'ai rien d'amical. Je suis peut-être une fille, mais il avait l'air débutante. Et moi je ne suis pas. Mon envie de disparaitre s’accentue quand tout le monde se met à acclamer cette pseudo victoire et à siffler. Je descends du ring,  m'apprêtant à m'effacer dans le silence de ma honte, mais une voix rauque et douce me prend totalement au dépourvu.

– Tout va bien ?

 pendant une seconde, mon esprit se fige et j’ordonne à ma bouche de dire quelque chose à la furie qui se tient à quelques centimètres de moi.

 Je lutte pour garder mon regard dans le sien, plutôt que de me perdre dans son cou bien dessiné et veiné, sa mâchoire carré ou son torse tatoué de symboles subliminaux.

– Oui, ça va, je lui réponds avec le plus d’assurance que je peux dans un moment comme celui-là. Un moment où malgré les apparences, je suis faible. Mais je suis plutôt douée pour cacher ce que je ressens. En tout cas tout le monde semble croire que je devrais être contente d’avoir gagné. 

– Tu te bats vraiment bien… Lara c’est ça ? On s’est vu hier au bar ou tu travailles, Hé merde. Il se rappelle de moi. Je sens le rouge me monter et heureusement que je viens de faire un combat, car je ne suis pas certaine d’être capable de fournir une autre explication.

– Je me rappelle. Merci… ? 

Je ne connais toujours pas son nom, contrairement à lui.

– Eli. 

Un silence s’installe et une lueur fugace dans ses iris bleus sombres m’intiment de m’enfuir si je ne veux pas me retrouver mise à nu, et ce, dans tous les sens du terme. Je mets fin à cette joute silencieuse pour foncer au vestiaire me passer de l'eau sur le visage. Reki m’emboite le pas.

- Tout va bien ? C’était un beau combat. Tu pars déjà ? 

Je hisse mon sac sur mon épaule, mon casque à la main.

- Merci Réki, oui j’avais oublié, j’ai quelque chose d’important à faire. 

– D’accord, mais tu devrais au moins regarder ça. Crois-moi ça vaut le détour. Il indique le prochain combat. C’est Eli. Moi qui voulais précisément éviter cette torture… J’ai déjà du mal à stopper tout ce qui se passe dans ma tête, je n’ai pas besoin d’un spectacle aussi réel et vivant pour alimenter mes fantasmes. Mais je vois que Réki y tient. Alors, je ne me prive pas pour observer la furie en action. Et en effet. Ça vaut le détour. Il se bat non seulement très bien, mais il est aussi stratège, intuitif, pro actif. Il excelle dans l’art de l’imprévisibilité ce qui fait que le gars contre qui il se bat est totalement déstabilisé et ne sait pas où donner de la tête. Merde… Ses épaules larges soulèverai n’importe quoi. Et n’importe qui. Mon front se plisse et ma lèvre disparaît sous ma langue. Eli se débarrasse de ses gants après le combat, essuie son visage et glisse ses doigts dans ses cheveux humide en bataille d’un geste rapide. Je déglutis et me fige quand ses yeux atterrissent dans les miens. Et comme si mon cerveau avait enfin décidé de la fermer, je me dirige vers lui et lui tend ma bouteille d’eau. Sa main est chaude. Je les observe à la dérobée : elles sont parfaitement dessinées et abimées par les combats. Elles sont surtout dangereuses pour moi… Je le félicite pour son duel et quand il me surestime en me disant que le mien était mémorable, je ne relève pas. Inutile de lui dire que je ne suis pas fière de moi, je n’ai pas envie de gâcher ce moment. Il faut vite que je parte d’ici. J’ai trop chaud et son regard sur moi comme s’il était tiraillé entre deux parties de lui n’arrange vraiment rien. Il jette un œil à mon casque intrigué, mais je ne lui laisse pas le temps de réagir. Je l’enfile et me dirige vers ma moto un peu plus loin à l’entrée de la grande porte en métal.  Je m'installe et fais vibrer le moteur.  Aucun gars ne manque le spectacle, et les sifflements ne tardent pas à fuser. Visiblement, une nana sur une bécane, ils n'en n'ont jamais vu.

- Merci pour le cours Reki.

Ma dernière vision est celle d'un grand type musclé, tatoué jusqu'au cou et au visage d'ange écorché qui me fixe comme s’il allait me poursuivre et me dévorer. 

                                                                                                                 * 

– Je t’attend en bas du Lomar.

– J’arrive dans 15 minutes.

Je raccroche avec Nelly et enfile mon casque. Cinq jours se sont écoulés depuis mon premier cours de boxe. Et chaque foutus matin, il y a un visage qui vient dans ma tête sans pour autant avoir d’autorisation. Je soupire en  

Quand je suis sur ma moto, un sentiment de liberté m’envahit. Et je ne sais pas pourquoi, mais quand je pense au voyage, ça me fait le même effet : voyager, m’échapper, me laisser porter par l’inconnu sans savoir ce que je vais foutre le lendemain. Je rêve d’embrasser ça, de me sentir libre et de ne jamais m’arrêter. Une vie sans attaches, sans jugements, sans la nécessité de faire semblant d’être forte alors qu’un jour sur deux j’ai l’impression que je vais m’effondrer au moindre coup de vent. Parfois je me sens me sens tellement fragile. 

Je viens d’arriver mais au moment où je coupe le moteur, je sens quelque chose vibrer dans ma poche. Un numéro inconnu s’affiche. Tremblante, je décroche immédiatement

– Bonjour, suis-je bien en ligne avec Lara Williams ?

– Oui, c’est moi... Je réponds comme si je savais déjà ce qu’on allait me dire. Parce que c’est le cas.

– Ici l'hôpital Saint-Martin, nous avons une ur… J’écoute à peine, car mon cœur s’arrête et mon cerveau s’est arrêté à “hôpital Saint Martin.”
Je murmure un "oui" à peine audible et raccroche brusquement. La réalité me rattrape violemment, effaçant en un instant les images de liberté et de voyages infinis. J’aurais préféré me prendre un poing dans la gueule. Sans perdre une seconde, je tourne ma moto en direction de l'hôpital, une multitude de pensées horrifiantes en tête, dont une qui ne cesse de me torturer : “ t’auras rien de tout ça ma grande. Les fins heureuses, c’est pas fait pour toi”.

BOXING HEART (En réécriture)Where stories live. Discover now