Chapitre 5

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Je suis dans le jardin, dissimulé derrière un buisson. Il fait nuit et la lune brille dans le ciel. Devant moi, assise sur un banc du petit jardin de son bâtiment, Emma chante.

Je l'observe pendant des heures qui me paraissent des secondes. Elle est toujours seule, je pourrais me lever et lui parler mais j'ai trop peur de briser cet instant. Si je lui parle, elle va se lever et partir, elle va me laisser, avec dans son regard ce mélange de peur et de tristesse. Elle va me laisser et je ne le supporterais pas. Alors je reste caché, tâchant de graver chaque accent de sa voix si belle dans mon esprit.







Maria me regarde, les sourcils froncés. Elle agite le bout de papier sous mon nez, ce bout de papier sur lequel je lui ai griffonné deux question :

« Où est Emma ? Tu m'emmène la voir ? »


Elle est vexée, je le vois bien. Certains de ses collèges, des infirmiers comme elle, m'ont confié qu'elle m'aimait bien, et que cela pourrais lui attirer des ennuis.


« Non, Nathan. Tu n'iras pas voir Emma, avec où sans moi. Tu n'as pas le droit et elle veut rester toute seule. »


« Je pourrais lui tenir compagnie, aussi bien elle m'appréciera beaucoup. »


C'est ce que je lui répond en écrivant sur le papier. Elle secoue la tête, soupire, puis ses yeux croisent les miens. Quelques secondes plus tard, je suis devant la porte de la chambre d'Emma. Maria toque, en me lançant un regard excédé :


« Emma ? Tu nous ouvres ? »


Les accents de la voix de la jeune fille me parviennent derrière la porte fermée. Je crois qu'elle va nous ignorer, pourtant quelques secondes plus tard elle se tait et sors de sa chambre.

Son visage est méfiant mais ses yeux brillent.


Maria lui dit :


« Bonjour Emma ! Nathan voulait te rencontrer. Il peut entrer ? »


Emma lui répond : « Oui. » d'une petite voix fluette, bien différente de celle qu'elle a quand elle chante, mais tout aussi jolie.


Je lui emboîte le pas quand elle fais demi - tour. Sa chambre est plongée dans le noir, volets fermés et lumières éteintes. Des dizaines et des dizaines d'étoiles fluorescentes brillent au plafond.


Elle se retourne vers moi, et je vois son sourire malgré la pénombre :

« Comment tu t'appelles ?

- Nathan.

- Tu as une belle voix... »


Elle se tait pendant quelques secondes, plongées dans ses pensées, alors que je tente de me souvenir comment respirer.


« Merci, Emma.

- De rien.

- Tu n'allumes jamais la lumière ?

- Non.

- Comment fais - tu pour y voir ?

- On s'y habitue.

- Pour quoi faire, les étoiles au plafond ?

- Pour remplacer celles que j'ai perdu dans mon esprit.

- ...

- Et puis ça m'aide à y voir un peu plus clair dans ma chambre. »


J'entends le sourire dans sa voix quand elle me parle.


« Emma ?

- Oui ?

- Pourquoi est - tu ici ?

- Parce que je suis folle.

- Tu n'as pas l'air d'une folle.

- Merci ! Toi non plus, pourtant tu es ici avec moi... Peut être que c'est les autres qui sont fous. Peut être que nous sommes les seules personnes saines d'esprit dans cet hôpital. Peut être qu'un jour on pourras sortir dehors. Peut être qu'un jour on pourra se balader en ville. Peut être qu'un jour je pourrais porter autre chose qu'une robe d'hôpital. Peut être qu'un jour je pourrais manger une glace au soleil. Peut être qu'un jour je n'aurais plus peur de la lumière. »


Elle éclate de rire, et ce son rempli la pièce.


La lumière de ses étoiles au plafond se reflètent dans ses prunelles et à cet instant, plus rien ne me raccroche à cette Terre, elle mise à part.



En sortant de la chambre d'Emma une ou deux heures plus tard, je bouscule Maria qui écoutait notre conversation derrière la porte. Je la regarde, moi méprisant et elle émerveillée :

« Tu as parlé, Nathan ! Tu peux parler ! »


Je hausse les épaules et lui tourne le dos pour retourner dans ma chambre. Au bout de quelques mètres, je me retourne vers elle :

« Qu'est - ce qui lui est arrivé, à Emma ? »


La surprise d'entendre ma voix se lit sur son visage, avant de laisser place à la réprobation.


« Tu ne devrais pas poser cette question, Nathan.

- M'en fous. Je la pose quand même. »


Nous nous affrontons du regard, puis elle baisse la tête.


« Emma a été violée... par son père, Nathan. »


Je reste planté devant elle, les yeux grands ouverts.


« Son... Son père ?

- Oui, jusqu'à ses onze ans. Sa mère est morte à sa naissance, et son père la battait. Il a commencée à la violer à partir de ses neuf ans, puis un jour les voisins ont entendu les cris d'Emma et sont intervenus. Mais elle a des séquelles psychologiques assez graves de ces événements, puisqu'elle est ici. Elle refuse d'allumer la lumière car sinon elle revoit son père s'avancer vers elle pour la battre, elle me l'a dit quand elle est arrivée ici. Néanmoins, je pense qu'elle n'est pas folle, elle est juste terrifiée. Comme toi d'ailleurs : tu n'es pas fou, mais comme tu ne parlais pas tout le monde était d'accord pour te mettre dans cet hôpital. Maintenant que tu veux à nouveau parler tu vas repasser des tests psychologiques et tu pourras peut être sortir !

- Non.

- Non ? Comment ça, non ? »


Je désignais la porte de la chambre d'Emma sans répondre.

« Nathan... Je ne pense pas qu'elle puisse sortir tout de suite...

- Et alors ? Je ne veux pas la laisser la toute seule. Donc, je reste. »


Un Amour fou.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant