Quelqu'un d'autre

A quoi bon

Wodsha était la fille unique des deux personnes que le monde actuel détestait le plus : Rauthrog et Thogmor. Les deux étaient à l'origine de deux guerres dévastatrices, opposant feu, air et ténèbres à terre, eau et lumière. La première guerre avait été menée par Thogmor, avant qu'il ne rencontre et tombe amoureux de Rauthrog. Cependant, ne pouvant abandonner son masque de Lord des ténèbres, il avait dû garder sa relation secrète, jusqu'à ce que le camp opposé ne l'arrache à son amant. Il fut emprisonné dans une cellule constituée de Néant, dans la prison la mieux gardée de tout le continent. Il lui était impossible de s'échapper. Rauthrog eut alors l'idée de relancer une guerre : toute l'attention serait focalisée sur lui et ses armées et Thogmor pourrait s'échapper. Sauf qu'il fut défait, lui aussi. Cependant, un malheur entraînant bizarrement un bonheur, il se retrouva incarcéré dans la même prison. Ils se retrouvèrent là où ils ne s'y attendaient pas.

Wodsha était donc née au milieu du Néant, constituée de celui-ci et du sang de ses géniteurs. Elle s'était enfuie de la cellule pour découvrir le monde. Ses parents avaient décidé de rester. Personne ne viendrait plus les séparer. Ils restèrent néanmoins dans les mémoires comme des êtres immondes, insensibles et terrifiants.

Hors, les rumeurs vont vite, et elles se confirment vite aussi : l'existence de Wodsha finit par être révélée. Elle s'enfuit et se cacha sous un masque, se créa une personnalité et se fondit dans le quotidien ennuyeux d'étudiants banaux. Elle fit alors la renconte de Nagram. Elles tombèrent rapidement amoureuses l'une de l'autre et la nouvelle venue dans cette histoire s'autonomma garde du corps.

Cependant Wodsha savait que le temps viendrait où les masques tomberaient et elle sentit ce moment se rapprocher.
Elle était en cours, en cours de maths, quand des coups brefs furent frappés à la porte. Celle-ci s'ouvrit sur des elfes et des humains cuirassés, alignés, impassibles. Wodsha les fixa droit dans les yeux, elle savait l'heure venue.
Nagram était à ses côtés, prête à la défendre, à mourir pour elle, si cela devait être.
Wodsha se leva, son masque tomba comme réduit en cendres, sous les yeux stupéfaits de sa professeure et de ses camarades.
Les soldats ainsi arrivés dégainèrent d'un même mouvement leur épée.

- Pourquoi vous obstinez vous à me croire dangereuse, moi et mes parents ?

- Vos parents...

- Non, la ferme, je sais ce que vous allez dire "Étaient maléfiques, blablabla". C'est juste que vous n'avez rien compris, bande d'imbéciles !

- Vous serez une menace tant que vous ne serez pas morte.

- Mais que vous ais-je fais ?

- Vous existez.

- Est ce un crime ?

- Dans votre cas, oui.

Les guerriers s'avancèrent et se déployèrent dans la salle. Les élèves terrorisés s'écartaient, tentaient de partir. Impassibles, des archers entrèrent à leur tour et bandèrent immédiatement leur arc. Wodsha rit, leurs flèches et leurs arcs tombèrent en cendre dans leurs mains. Fille du feu, du ciel et des ténèbres. Nagram s'avança aussi.

- Écoutez, je ne vous veux aucun m...

Elle para lestement un coup à l'aide d'une dague. Les entêtés soldats lancèrent l'assaut. Elle ne put que les faire tomber, un à un, aidée de sa compagne. Elles les firent reculer jusqu'à la porte. Et puis, Wodsha eut comme une révélation. Elle s'arrêta, le visage vide. Elle détailla intensément chaque membre de la garde venue pour l'assassiner. Elle se tourna vers Nagram, toujours aussi résignée, indescriptible.

- N'essaie pas d'ouvrir la porte. Ça vaut mieux.

- De quoi ? Mais... pourquoi ?

Wodsha soupira.

- A quoi bon essayer d'être quelqu'un de bien quand tout le monde pense que tu es mauvais ?

- Non, pas tout le monde ! Tes parents, moi, ...

- Qui d'autre ?

- Mais... je... je ne sais pas, mais...

- Peut être avaient-ils raison finalement... murmura-t-elle en désignant ses assaillants, immobiles, qui tentaient de percer le mystère de ses paroles. Peut être que je suis un monstre sanguinolent...

- Mais pas du tout ! Non ! Tu es attentionnée, gentille, généreuse, ...

- Arrête, ça ne sert à rien.

- Comment ça ?

- N'ouvre pas la porte.

- Non ! Attends ! Tu... je...

Wodsha claqua ladite porte et Nagram s'acharna à l'ouvrir en vain. Quand elle découpa la serrure à l'aide de son épée et que l'entrée céda enfin, une bouffée de chaleur l'accueillit.

Des corps gisaient, indéfinissable, aux milieu des flammes encore vivaces. La fumée obstruait la vue, l'alarme incendie s'était mise à hurler. Au loin, une silhouette entourée d'ombres éteignait une dernière braise dans sa paume. Nagram comprit, désespérée. Wodsha était sérieuse, Wodsha avait incendié une école, commis un massacre. Wodsha était désormais celle que les elfes et les humains avaient imaginé. Wodsha était une meurtrière, un monstre. Et elle le resterait jusqu'à ce que la mort n'emporte sa Faucheuse terrestre.

Au fond, à quoi bon lutter contre sa nature ? Contre l'avis général ? Contre le destin ? Contre... la mort ?