Une oreille attentive dans les conversations

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Si vous êtes comme moi et que vous lisez beaucoup de romans, prenez le temps d'observer comment l'auteur répartit les descriptions et intègre les dialogues au travers de cet ensemble de mots.

Que distinguez-vous? Y a-t-il beaucoup de dialogues ou trop peu? Est-ce que la conversation est quelque fois intégrée dans un paragraphe, pour alléger ou alourdir le texte?

José Saramago, prix Nobel de littérature en 1998, n'utilisait pas le dialogue de la manière conventionnelle. Il mêlait joyeusement la parole et la description dans un ensemble pourtant très cohérent (même si c'est parfois très ardu à la lecture). Mais, faire de la sorte exige une expérience que je n'oserais même pas m'attribuer même si j'écris depuis plus de quarante ans.

Tout est une question d'équilibre, chantait Cabrel. Le dialogue donne de la vie, du rythme à votre histoire mais peut vite vous faire trébucher, vous perdre et de même, désorienter le lecteur.

Lisez ce qui suit :

- Pourquoi me regardes-tu comme ça, demande-t-elle.

- Parce que je crois que je te déteste, réplique-t-il.

- Ah.

- Tu ne dis rien?

- Pourquoi répondrais-je à ça?

- Parce que tu me déteste toi aussi, c'est ça?

- Je préfère me taire.

- Alors fais donc ça et laisse-moi tranquille.

... Et voilà votre lecteur qui relit depuis le début et qui cherche qui dit quoi, surtout la dernière phrase. Combien de fois ai-je tout simplement abandonné la lecture d'un texte pourtant intéressant à cause de ces longs échanges de mots sans plus savoir qui parlait de quoi et à qui.

À moins de mettre des "dit-il" et "dit-elle" à chacune des répliques (ce qui alourdit le texte), il faut ajouter, ici et là, des indices subtils ou carrément directs afin de garder le lecteur captivé et le faire sentir comme partie intégrante de l'échange entre les deux protagonistes.

Voyez plutôt le texte révisé ci-dessous :

- Pourquoi me regardes-tu comme ça, demande-t-elle.

- Parce que je crois que je te déteste, réplique-t-il.

Il détourne la tête et regarde ailleurs, réalisant qu'il est peut-être allé trop loin. Elle soupire et à son tour regarde le mur vide du salon en soupirant.

- Tu ne dis rien? demande-t-il enfin en mettant ses mains dans les poches de son jeans.

- Pourquoi répondrais-je à ça?

Elle lui dit ça sur ton si brusque qu'il sursaute mais il réalise soudain que la situation ne va pas s'améliorer, au contraire. Il se lance :

- Parce que tu me déteste toi aussi, c'est ça?

- Je préfère me taire.

- Alors fais donc ça et laisse-moi tranquille.

Il ne regrette pas ses derniers mots et sort en claquant la porte.

Avouez que vous vous êtes senti au milieu de la conversation, comme un voyeur avec une caméra cachée en train d'assister à une rupture.

Il n'est pas nécessaire d'en faire plus pour captiver le lecteur. C'est un peu comme doser en épices et condiments une bonne sauce à spaghettis.

Comment bien écrire de la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant