Chapitre 1

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La lumière du soleil perçait doucement entre mes volets et ma chambre se remplissait d'une obscure clarté. Je regardais rapidement mon réveil, offert généreusement par ma tante, Tatalia, lors de mon dixième anniversaire. Il indiquait 9h36. C'était donc une heure de la matinée bien avancée, mais une heure à laquelle je pouvais me réveiller puisque j'étais en vacances depuis la semaine dernière. Doucement, j'émergeais de mon sommeil et rejoignais ma mère et mon petit-frère, Arthur, dans la cuisine où ils déjeunaient. Ma mère considérait le fait de cuisiner comme un refuge. Nous l'entendions chanter - enfin... plus exactement hurler - chaque matin pour se motiver à la préparation de nos petits muffins que nous déjeunions peu de temps après. C'était cependant une excellente patissière. Jamais le muffin préparé la veille n'était semblable au muffin préparé le jour même...

Chaque matin, je redécouvrais ma maison. Ma mère, maniaque du ménage et du rangement et fan de consommation, passait son temps, en attendant papa rentrer du travail, à ranger la maison afin d'organiser, empiler, classer, disposer, et même étiqueter tous ses nouveaux achats. La cuisine avait donc souffert d'un relouquage express durant la nuit. Il n'empêchait que c'était la pièce la plus moderne de la maison. Toute faite de granit et de bois, nous avions peint le mur qui donnait sur le jardin en rouge, ce qui donnait "un cachet un peu rustique et magnifique", selon ma mère. Les autres pièces, à défaut d'argent et de temps, étaient restées telle quelles depuis l'achat de la maison.

Chaque matin, lorsque je me réveillais, je voyais sur le mur un énorme morceau de papier peint qui menaçais sérieusement de me tomber dessus. Il ne manquait jamais à l'appel, il était toujours présent, comme pour me rappeler qu'il était toujours là. Seul petit bémol à notre cuisine, qui était vite devenu un lieu de rassemblement, maman n'ayant pas la main verte, mais ayant insisté pour s'occuper des plantes, avait comme qui dirait oublié d'arroser notre petit pommier d'amour familial, que nous cultivions depuis 2 ans. C'était fini, elle l'avait tué ! Non, assassiné, à vrai dire...

Mon frère, seul héritier du sale caractère de cochon de mon père, n'osa à peine me regarder et me balança pour seul "bonjour" :

- "La musique était trop forte hier soir".

Malgré le fait que ladite musique dont il parlait avait été diffusée faiblement à travers mes écouteurs la veille, ce tempérament ne me gênait pour rien au monde, je commençais à m'y être habituée. J'avais grandi avec mon frère, de deux ans mon cadet, une tout autre vie avant.

Lorsque nous étions petits, je le considérais presque comme mon meilleur ami et confions l'un à l'autre tous nos secrets. Nous faisions du cirque ensemble. C'était sa passion, qui était vite devenue la mienne aussi, et donc la nôtre : une passion partagée entre frères et sœurs. À 10 ans et étant un peu "bouboule", mon frère avait frappé un de ses meilleurs amis qui m'avait insulté. Cet acte de bravoure l'avait mené directement chez le directeur, mais n'avait fait que renforcer nos liens. Mais à 12 ans, il était devenu perfide et se moquait, à son tour, de moi. Pourquoi avait-il changé subitement de comportement ? "Sûrement qu'il en a eu marre de me protéger tout le temps et que je faisais tache à sa réputation : ça se comprend !", aimais-je me rappeler, le soir, en rentrant de l'école, après avoir encore subi une journée pénible de moquerie. Depuis, nos seules conversations n'avaient lieu que pour des disputes ou des insultes sanglantes.

Papa, quant à lui, était déjà reparti au travail. Je le voyais le week-end seulement. En effet, mon père se préoccupait plus de son travail que de sa famille. La relation entre mes deux parents se dégradait de jour en jour mais maman s'acharnait à la sauver tout de même. Ma mère, toujours pleine de cœur, l'attendait pour dîner et se levait avec lui le matin, une situation qui me préoccupait quelque peu à la vue des énormes cernes sous ses yeux.

Ce qui m'angoissait un peu plus, c'était le regard plein d'espérance et de fierté que m'avait adressé ma mère, à mon entrée dans la pièce. Dans une famille normale, on aurait très bien interprété ce sourire, auquel on aurait répondu, d'ailleurs, par un autre geste de ce type. Mais lorsque cela vient d'une mère dérangée, voir folle, qui ne dort jamais, ne mange que très peu, n'a aucune amie avec qui parler ou faire du shopping et qui passe au minimum 7 heures au téléphone avec sa mère de 87 ans, qui habite à l'autre de bout du monde et qui, malgré son âge avancé, pratique encore le patin à roulettes, cela ne peut que vous effrayer. À peine avais-je passé le pas de la porte qu'elle s'écriait :

- "Ta copine a appelé. Elle a dit que tu serais merveilleuse en dame d'honneur. Je le pense aussi. Dans tous les cas, elle avait l'air si déterminée que je ne pense pas qu'elle ne te laisse le choix. Elle m'a donné le code couleur : vert sapin mais aussi la spécialité. Tu ne sais pas quoi, c'est la tarte meringuée. Je suis sûre qu'elle la choisit en fonction de ce que tu cuisines ! J'aurais fait la même chose, tu cuisines comme un chef, ma chérie. Il ne nous reste plus qu'à trouver ta robe sans oublier la coiffe. Il faudrait peut-être bien ajouter aussi un petit bouquet comme dans les films. Et tu devrais aussi chercher sur Internet la coiffure que tu veux. Promis, je ne m'y tenterai pas cette fois. On ira directement chez le coiffeur le plus réputé de Boston. Oh, mon Dieu, comme je suis excitée !!!!"

Enfin, elle s'arrêtait et commençait à respirer bruyamment. En effet, ma mère adorait se faire remarquer. La plupart du temps, lorsqu'elle sortait faire les courses à la petite épicerie à deux pâtés de maison de notre "demeure", et étant connue de tout le quartier, les passants changeaient rapidement de trottoir à sa venue, dans la peur d'être kidnappés.

Sa main faisait tout un chemin pour me faire comprendre qu'elle récupérait de l'air avant de recommencer à jacasser. Mais je ne lui en laissais pas le temps :

- "Oh oui ! Tu es excitée. La preuve, je n'ai absolument rien compris à ce que tu m'as expliqué. De quel mariage tu parles ? Quel code couleur ? Quelle spécialité ?"

Je m'apercevais à ce moment-là que mon frère avait disparu. Cette discussion ne pouvait en effet que l'ennuyer. Malgré notre complicité d'antan, il n'avait jamais vraiment apprécié notre mère et son excitation. Il l'aimait et la détestait à la fois.

C'est à ce moment-là que ma mère se décida à me répondre, assez brièvement cette fois-ci :

- "Mais le mariage de Romy, enfin"

Lemon Zest Love [EN PAUSE]Where stories live. Discover now