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J'ai appris plus tard que la gare avait été totalement détruite. Pas même réduite en miettes, juste du vide. Des particules, invisibles à l'œil nu. Voilà ce que tous étaient devenus; quelque chose d'inaccessible. En plein épicentre de l'arme, ne laissant aucune chance de survie. Balayant d'un coup sec la vie de tous les malheureux qui se trouvaient aux alentours.

Je n'avais maintenant plus personne. Plus de famille. Plus de femme, plus de fils. Seul dans un monde que je ne reconnaissais plus. Un grand inconnu, qui peinait à se reconstruire. Un navire bancal en pleine tempête, qui ne semblait pas se calmer, incapable de rester stable après avoir perdu son équipage.

Seul dans cet hôpital, où je ne sais comment j'étais arrivé. La mort avait refusé de venir me prendre. Ou alors elle voulait me faire souffrir plus longtemps. Quoi qu'il en soit, je l'avais appelée, je l'avais suppliée, mais rien. A croire qu'elle se riait de m'entendre agoniser sans me répondre. La vie m'ignorait, sa Némésis aussi.

Les lumières claires et les couleurs pâles des infirmiers m'aveuglaient. Les médecins me parlaient, me faisaient des tests, mais je ne voyais rien. Je n'entendais rien. Ma tête était aussi creuse que mon âme. Une coquille dépouillée, un corps rattaché à la vie par un simple fil qui peinait à ne pas se fendre.

Autour de moi, ceux qui avaient connu la même chose avaient mal partout. Certains saignaient sans raison. D'autres perdaient leurs cheveux. Une maladie se répandait parmi ceux qu'on fuyait comme des maudits. Une ombre qui grandissait et hantait les murs. Et personne ne comprenait. De la même façon que je n'avais pas compris les premières secondes de l'explosion.

On nous cachait au monde. Et le monde se cachait de nous.

J'avais si mal. Je ne pouvais plus me lever. Une piteuse épave humaine, destinée à sombrer. Sans ancre pour se rattacher à la vie. Juste l'envie de couler et ne jamais remonter à la surface. Qu'on me laisse me noyer dans les abysses.

Ma plus grande blessure était peut-être mon esprit. Ma peau était douloureuse, mais à un tel degré de torture, on ne ressent même plus. Pas parce qu'on s'habitue, mais plutôt comme la glace, si froide qu'elle vous brule jusqu'à ne plus ressentir vos membres.

Je ne voulais pas survivre. Pas dans un monde où c'était arrivé. Je voulais juste tout oublier. Effacer ces images qui hantaient ma tête et mes rêves. Juste retourner en arrière de quelques jours. C'était si simple. Aussi simple que pour la personne qui avait enclenché le levier pour larguer la bombe. Juste rester appuyer dessus, en essayant de ne pas y penser.

Mais c'était impossible. Parce que plus on est traumatisé, et plus la mémoire se souvient. Et à chaque fois qu'on essaie d'oublier quelque chose, cela revient encore plus fort. Une cicatrice, plus invisible mais beaucoup plus intolérable que celles sur mon corps. Une souffrance indécelable qui me tourmentait sans jamais cesser. Et tout ceci s'accumulait au fond de mon cœur jusqu'à l'inonder.

J'ai songé à partir dans quelque pays inconnu. Mais rien n'était assez loin. Tout me rappelait sans cesse ce jour maudit. Ce que j'avais perdu. Le ciel orangé comme les flammes lorsque le soleil se couchait. Le bruit de la foule tapant derrière mon oreille comme cette explosion. Ou au contraire, le long silence pesant la nuit qui me rappelait ces ruines tragiques. Ce reflet brûlé que je voyais à travers mon miroir.

Et le vide. Le vide créé dans mon cœur.

Au fond de moi, je savais. Que rien ne serait plus jamais pareil. Comme la ville, j'étais maintenant en ruines à l'intérieur. On ne s'en remet jamais, pas plus qu'on ne survit. On continue seulement de vivre, rattrapé inévitablement par la fatalité.

Après avoir vécu le jour où le soleil est tombé.

KotomichiWhere stories live. Discover now