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Je me suis finalement levé, âme condamnée à errer. Je n'avais même pas de but. Un fantôme perdu parmi les décombres et les autres esprits. Avec seulement l'envie de quitter cet endroit, qu'on m'explique ce qui se passait. Que je me réveille dans mon lit de cet horrible cauchemar. Que mes yeux s'ouvrent sur une autre vision que celle du champ de guerre.

Mais à chaque pas, tout était plus insupportable. Les ruines étaient absolument silencieuses. Tout avait été tué jusqu'au plus petit animal. Aucun signe de vie. Aucune plante. Juste un tapis de morceaux noirs encore brulants. Dans les ténèbres, pourtant encore en plein jour il y a juste quelques minutes.

Et ce sifflement si insupportable qui m'accompagnait. Comme un violon strident coincé derrière mon tympan, qui jouait les propres notes de mon requiem.

Respirer même semblait être un effort inimaginable. La bombe avait créé une véritable tempête de sable, qui remplissait nos bouches de poussières, piégés tels des rats dans ce nuage noir. Les barreaux immatériels d'une cage invisible, qui nous séparaient du reste des vivants.

Les constructions restantes plus loin dans la ville étaient en bois. Tragique erreur. Au bout de quelques heures, à peine conscients au milieu d'autres survivants, nous l'avons vu grandir. Le feu, qui se régalait insolemment de ce qu'il restait. Les rares bâtiments encore debout s'effondraient cette fois sous les flammes meurtrières. Achevant le travail qui n'avait pas été fini. Dans un funeste ballet incandescent.

Il a fini par gagner toute la ville, comme une goutte sanglante s'étalant sur le fragile papier que nous représentions. Ce qui en restait du moins. Nous étions emprisonnés dans des ruines en bois qui carbonisaient sous nos yeux. Bûcher mortel. L'air était encore plus irrespirable, et tout brulait. Consumés, calcinés, réduits en cendres. Et nous ne pouvions même pas nous enfuir.

Jamais autant de vies ne s'étaient arrêtées aussi vite, aussi brusquement.

Le fleuve était devenu un cimetière de malheureux qui voulaient se rafraichir. Bourreau des désespérés, engloutis dans cette tombe ouverte. Même l'eau était à présent un piège mortel. Toute l'humanité semblait disparue et loin.

J'ai croisé des enfants dont le dos avait été arraché. Des femmes au visage défiguré. Des hommes qui n'avaient même plus la force de parler. Des choses que jamais personne n'aurait eu le cynisme de s'imaginer, même dans les pires scénarios.

Puis, on a perdu le peu d'espoir que l'humain peut garder. Dans cet enfer, je me suis arrêté. Je n'avais plus la force de continuer. Plus de but. Rien. Je suis juste resté assis au milieu de ce désert gris, en attendant qu'à moi aussi on vienne couper ce dernier fil qui me retenait sur terre.

Et au-dessus de ma tête, des gouttes ont commencé à tomber. J'ai pensé à un miracle pour éteindre les incendies. Que c'était la fin de mon calvaire. Qu'après la pluie, le soleil reviendra, et que tout ira mieux. L'univers nous avait enfin entendus, et avait eu pitié de nous.

Mais malheureusement, ce n'était qu'une autre surprise de la mort. Car le grand final de son spectacle insolent n'avait pas encore eu lieu.

Un cadeau du mal, sous la forme d'une pluie noire. Un torrent maudit. Plus sombre que le charbon. Plus sombre que les cendres sous mes pieds.

Des gouttes remplies de poussières, qui s'incrustaient sur mon corps. Puisant dans la fumée du champignon qui nous masquait la lumière. Chargées de fléau, et de malheurs inimaginables.

Personne ne survit jamais à une bombe atomique. Il n'y a pas de rescapés, il n'y a que des âmes vides. Des corps détruits, brisés, aussi creux que de simples coquilles. Des fantômes errants, coincés entre deux mondes, qui tôt au tard paieront le prix de leur survie.

Bien plus cher que ceux qui étaient maintenant des ombres.

KotomichiWhere stories live. Discover now