Chapitre I : Glastonbury

Start from the beginning
                                    

- Je me nomme Charles Fletcher et voici mon frère Randall, je l'accompagne depuis la Northumbrie pour qu'il puisse entreprendre sa formation de moine. En tant que cadet, c'est à lui que revient le privilège de bénir notre nom ainsi que notre famille.

Mon frère parlait comme si je n'étais pas là. Je restais silencieux tout en écoutant les deux hommes parler de mon avenir sans intervenir. Mes yeux étaient, quant à eux, attirés vers ce monde qui me semblait si nouveau, bien loin de ma vie de noblesse. J'allais désormais devoir vivre cloîtré toute ma vie. Voir le même paysage tous les jours, réciter les mêmes prières sans pouvoir sortir de ces murs ne serait-ce que pour une journée. Une vie de misère pour seul raison d'être né après mes deux frères.

- La famille Fletcher, oui je vois, reprit l'abbé. Votre père est venu quelques années auparavant, il venait voir l'Aubépine. Je sais de source sûr que la famille Fletcher est très respectée en Northumbrie, c'est donc un immense honneur de recevoir un de ses fils pour étudier dans notre humble monastère. Mais venez donc, le voyage a dû être long et fatigant, permettez-moi de vous offrir de quoi vous rafraîchir.

Mon frère hocha la tête en guise de remerciement et nous suivîmes l'abbé Henry dans un bâtiment au nord de la cathédrale. Il était plus petit que les autres, mais tout de même assez grand pour accueillir une dizaine de personnes. Adossé aux murs d'enceinte, il devait offrir une vue imprenable sur les plaines et la mer. J'en déduisis qu'il devait servir de séjour pour des invités de hauts rangs et je fus étonné que notre famille reçoive ce privilège.

Mais les novices manquaient, la monotonie de la vie abbatiale effrayait de plus en plus les paysans et les nobles préféraient former leurs fils à la guerre plutôt qu'à la religion. Chaque nouvel arrivant était donc traité comme le serait le plus renommé des ducs. La guerre se faisait ressentir, les farouches Écossais au nord menaçaient les terres anglaises. Les Gallois, fourches en main, attaquaient des divisions de la couronne et la famine avait réveillé la colère des paysans. De plus, les Français, de l'autre côté de la mer, attendaient le bon moment pour attaquer et mettre fin à la trêve qui avait, selon eux, déjà trop duré.

Il n'y avait donc que peu de temps pour la foi. Pour ma part, j'avais même prié mon père pour rejoindre la garde royale, je n'étais peut-être pas le meilleur combattant, mais j'étais prêt à donner ma vie. Il en avait décidé autrement : en tant que cadet je devais servir Dieu par la prière plutôt que par les armes. Je l'ai toujours haï pour cette décision, mais je savais que ce n'était pas vraiment son choix, il ne faisait que perdurer les traditions.

Arrivé devant le bâtiment, l'abbé sortit une grosse clé et ouvrit la lourde porte. Les gonds grincèrent et nous pûmes rentrer dans l'immense séjour.

- Voici vos appartements pour la durée de votre séjour seigneur Fletcher. Restez autant qu'il vous plaira. Nous apporterons de la nourriture à vous et à vos montures. Il va de fait que celle-ci ne sera pas de la qualité dont vous êtes habitué, mais nous ferons notre possible pour vous sustenter.

- Merci, mon père, mais je ne compte pas rester. Je dois poursuivre mon entraînement, de graves menaces pèsent sur nos terres. Répondit mon frère de manière à rester le plus courtois.

- Cela va de soi, revenez quand vous voulez, les portes vous seront toujours ouvertes.
L'abbé sorti du bâtiment en me faisant signe de l'accompagner. Mal à l'aise, je le suivis dans la cour extérieure. Intrigué par le monde qui m'entourait seul mon mutisme trahissait ma gêne et mon appréhension. Les questions fusaient dans ma tête sans qu'aucune n'ose sortir de ma bouche. J'avais bien trop peur de passer pour un sot devant mon nouveau maître.

- Tu me sembles bien silencieux, mon fils, c'est une qualité entre ces murs, beaucoup ont de la peine les premiers mois à ne pas parler sans réfléchir, mais ils s'y habituent d'une manière ou d'une autre, tu sais.
Les paroles de l'abbé ne me rassuraient pas, mais il me paraissait malavisé de lui faire part de mon sentiment.

Les Filles du Diable, premier cycle  : GLASTONBURYWhere stories live. Discover now